Des techniques pourraient permettre de cartographier l’organisation des pensées
Par Chris Chipello, Salle de Presse
Qu’ont en commun Girl, grand succès des années 1960 des Beatles, et Libertango, tango évocateur d’Astor Piazzolla?
De prime abord, probablement bien peu de choses. Pourtant, dans le cerveau d’un célèbre auteur-compositeur-interprète aux goûts éclectiques, ces deux pièces se ressemblent énormément. C’est l’un des étonnants constats posés après l’examen de documents d’imagerie du cerveau de Sting, lors d’une étude inédite en neurosciences.
L’étude, dont les résultats ont été publiés dans la revue Neurocase, repose sur des techniques d’analyse toutes récentes. Dans le cas présent, elles ont fait de documents d’imagerie une véritable fenêtre ouverte sur le cerveau d’un musicien accompli. Toutefois, appliquées à d’autres domaines – arts, politiques, sciences, etc. – elles pourraient permettre de lever le voile sur cette capacité qu’ont les gens doués de faire des liens entre des éléments apparemment dissemblables.
« Ces techniques de pointe nous ont littéralement permis de cartographier l’organisation de la musique dans le cerveau de Sting », explique le Pr Daniel Levitin, auteur principal et psychologue cognitiviste à McGill. « C’est capital, dans la mesure où tout l’art de la musique réside dans la capacité du cerveau d’assembler des sonorités pour façonner un paysage sonore. »
Un service en attire un autre
L’étude résulte d’un heureux concours de circonstances, qui remonte à quelques années. L’étincelle : un livre du Pr Levitin, This Is Your Brain on Music, que Sting avait lu. Le chanteur avait un concert prévu à Montréal. Son équipe a donc communiqué avec le professeur pour lui demander s’il accepterait de faire visiter son laboratoire à Sting. De nombreuses vedettes du monde de la musique avaient déjà foulé le sol de cette enceinte. Le chercheur a donc accepté avec plaisir, mais il avait lui aussi une faveur à demander au chanteur : est-ce que Sting accepterait de se soumettre à des examens d’imagerie cérébrale?
C’est ainsi que des étudiants de McGill se sont retrouvés dans un ascenseur du Pavillon de biologie Stewart en compagnie du chanteur du défunt groupe The Police, gagnant de 16 prix Grammy.
Par un après-midi caniculaire pré-concert, Sting s’est présenté au service d’imagerie cérébrale de l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal de l’Université McGill pour se soumettre à des examens d’imagerie fonctionnelle et structurale. L’expérience a failli ne jamais avoir lieu en raison d’une panne de courant qui a paralysé le campus pendant plusieurs heures. Comme il fallait plus d’une heure pour redémarrer l’appareil d’IRM fonctionnelle, le temps commençait à manquer. Mais Sting, plutôt que de se rendre à un test de son pour son spectacle, a généreusement accepté de rester sur place afin de pouvoir se soumettre aux examens.
Par la suite, le Pr Levitin a fait équipe avec le Pr Scott Grafton, grand spécialiste en imagerie cérébrale rattaché à l’Université de Californie à Santa Barbara, afin d’étudier les documents d’imagerie au moyen de deux techniques novatrices : l’analyse de modèle multivoxel et l’analyse de dissimilarité représentationnelle. Les chercheurs souhaitaient déterminer si, aux oreilles de Sting, les pièces entendues étaient semblables ou différentes. Et ils comptaient le faire non pas au moyen de tests ou de questionnaires, mais bien en mesurant l’activation de divers territoires du cerveau de Sting.
« Grâce à ces méthodes, nous pouvons déterminer si les schémas d’activation cérébrale se ressemblent davantage lorsque les styles de musique entendus sont semblables. C’est une démarche inédite en matière d’étude de la musique par l’imagerie cérébrale », fait observer Scott Grafton.
Des similitudes qui étonnent
« Les documents d’imagerie du cerveau de Sting ont fait ressortir plusieurs similitudes entre des pièces que je connais bien, mais entre lesquelles je n’avais jamais fait de lien », souligne le Pr Levitin. Ainsi, deux des pièces les plus proches l’une de l’autre étaient Libertango, de Piazzolla, et Girl, des Beatles. Les deux sont en mode mineur, et le motif de la mélodie est semblable, peut-on lire dans l’article. Autre exemple : la pièce de Sting Moon over Bourbon Street et celle de Booker T. and the M.G.’s Green Onions, deux pièces en fa mineur ayant le même tempo (132 battements par minute) et un rythme de swing.
Les méthodes exposées dans l’article, précise le Pr Levitin, « peuvent servir à l’étude de nombreux autres sujets, par exemple l’organisation des pensées de l’athlète qui doit accomplir certains mouvements, de l’écrivain qui doit bâtir un personnage ou du peintre qui doit agencer couleurs, formes et espaces ».