Par Doug Sweet
Montréal, comme d’autres villes, doit envisager l’adoption d’une «tarification de la congestion» – c’est-à-dire tarifer la congestion routière de la même façon que les provinces devraient fixer un prix pour le carbone, affirme Christopher Ragan, professeur de science économique à McGill et président de la Commission de l’écofiscalité du Canada. La Commission est un laboratoire d’idées basé à l’Université McGill qui a comme objectif d’élaborer des politiques concrètes visant à améliorer à la fois la performance économique et l’environnement.
Fort de la publication d’un nouveau rapport qui préconise de confier aux provinces la responsabilité de la tarification du carbone, le professeur Ragan explique que la Commission préparera bientôt un rapport expliquant la nécessité pour les villes, particulièrement les grandes, de s’attaquer aux « énormes coûts » liés à la congestion de la circulation, y compris le gaspillage de temps et de ressources.
Le péage sur les ponts et les grandes autoroutes fait partie de cette équation.
Pour l’instant, la recommandation de la Commission de l’écofiscalité de confier aux provinces la responsabilité de la tarification du carbone a retenu l’attention des médias. Lundi, l’Ontario s’est ralliée au système de plafonnement et d’échange du Québec en matière de tarification du carbone (comme l’état de la Californie). Et même si les premiers ministres provinciaux, réunis à Québec hier pour discuter du changement climatique, n’ont pu établir de consensus au sujet d’un prix carbone, le professeur Ragan croit que le système de plafonnement et d’échange du Québec aura des retombées significatives avec le temps.
« Dans notre premier rapport, nous avons mis l’accent sur la tarification du carbone, parce que nous croyons non seulement qu’il y a urgence de mettre en place des tarifs du carbone à l’échelle du pays, mais également que le meilleur moyen d’y arriver est la prise de mesures par les provinces, dit-il. Notre rapport fait également ressortir que le Québec a mis en place un très bon système de tarification du carbone. Je suis persuadé que d’ici cinq à sept ans, nous regarderons en arrière et nous dirons que ce système s’est avéré un franc succès, qu’il a permis de réduire les émissions avec une excellente rentabilité. Je crois que beaucoup de Québécois ignorent ceci. Ce système est à peu près aussi bon que l’excellent modèle de la taxe sur le carbone de la Colombie-Britannique. C’est un système différent, dont le fonctionnement est un peu plus compliqué, mais il est bien conçu. »
Le professeur Ragan fait remarquer que des villes comme Montréal n’ont peut-être pas un très grand rôle à jouer dans l’établissement des prix du carbone, mais qu’elles doivent travailler avec les provinces pour s’assurer que les politiques fonctionnent en tandem afin de favoriser l’économie tout en trouvant des solutions aux problèmes environnementaux.
« Je crois que la tarification du carbone n’est probablement pas l’affaire des villes; il serait sans doute préférable d’en laisser le soin aux provinces. Toutefois, la tarification de la congestion peut apporter une autre solution en freinant vraiment l’élan de l’étalement urbain.»
« Quand les gens pensent aux villes durables de l’avenir, ils pensent à accroître la densité dans le noyau urbain. Et si l’on envisage une politique qui ferait pencher la balance en faveur d’une réduction de l’étalement tout en augmentant la densité de la ville, l’une des solutions serait la tarification de la congestion », dit-il.
« Les villes peuvent également jouer un rôle au chapitre des normes de construction, pour les maisons et d’autres bâtiments, car ces normes peuvent avoir une très grande utilité. Les codes du bâtiment peuvent quant à eux améliorer l’efficacité des immeubles ainsi que les systèmes de chauffage et de refroidissement – les villes font effectivement du très bon travail sur ce plan, de concert avec les provinces. C’est une excellente façon de contribuer à la réduction des gaz à effet de serre. »
« Ces mesures peuvent très bien compléter un système provincial de tarification du carbone et fonctionner en tandem avec la tarification du carbone; en fait, certaines peuvent même s’appuyer sur cette dernière. Vous commencez à fixer un prix pour les émissions de carbone et vous offrez un incitatif financier intéressant pour augmenter l’efficacité de ces immeubles. »
Le professeur Ragan explique qu’il est important que les différentes instances gouvernementales travaillent en collaboration pour s’assurer que leurs politiques sont complémentaires les unes des autres.
« Il faut simplement que les gouvernements se consultent à ce propos. Il s’agit que les instances gouvernementales rencontrent les autorités municipales et leur disent ce qu’elles comptent faire et ce que la ville pourrait faire de son côté, et que le gouvernement s’assurera que le tout s’harmonise », précise-t-il.
Revenons à la tarification de la congestion.
« Le problème, c’est que tout le monde a un accès gratuit et illimité aux routes, ajoute le professeur Ragan. Et quand ils circulent sur les routes, surtout aux heures de pointe, il en coûte cher en temps à d’autres personnes – et le résultat c’est que les gens perdent énormément de temps (le coût d’ensemble est énorme) sur une route ou une autoroute, ou même dans les rues de la ville – des heures perdues au détriment d’activités plaisantes ou du travail, ou les deux. »
« La toute dernière technologie (déjà utilisée sur le pont de l’autoroute 25 entre Montréal et Laval) permet de fixer un prix qui dépend du degré d’encombrement de la route. Autrement dit, il peut n’y avoir aucun prix à payer pour une route dégagée à 2 heures du matin, mais un prix élevé à payer pour cette même route à 18 heures. On parle évidemment ici de grandes artères, pas de routes secondaires. Un droit de péage sur le pont Champlain, et du reste sur n’importe quel autre pont, jouerait essentiellement le même rôle. Le droit de péage pourrait être fixé selon la période de la journée, afin de réduire la congestion aux heures de pointe. »
Par ailleurs, le débat sur l’extraction des ressources continuera, affirme le professeur Ragan. Selon lui, il est important que les Québécois comprennent que le système de plafonnement et d’échange de la province est une formule gagnante, et un facteur primordial dans ce débat.
« Je pense que dans une certaine mesure, la capacité du Québec de continuer à exploiter ses ressources résidera dans la perception des gens quant au degré d’efficacité de la province à protéger l’environnement. »
« Je crois que plus il y aura de Québécois qui comprennent que leur système de plafonnement et d’échange est très bon, plus ils seront prêts à reconnaître que cette exploitation est en partie acceptable, dans la mesure où l’on fait bien les choses, souligne le professeur Ragan. Je crois que l’exploitation des ressources va de soi – si le sous-sol recèle une grande richesse, il serait plutôt fou de penser qu’il ne faut pas y toucher. Il faut simplement exploiter les richesses dans le plus grand respect des enjeux environnementaux. »
« Il faut trouver un juste milieu raisonnable. Et c’est exactement ce que propose la Commission de l’écofiscalité : un juste équilibre. Il s’agit de favoriser la prospérité économique tout en respectant les enjeux environnementaux. Il existe réellement un moyen d’y arriver, et ce moyen s’appelle l’écofiscalité. »
Pour lire d’autres articles du numéro de avril, cliquez ici.