Nourrir le monde

Avec une population qui devrait atteindre les neuf milliards en 2050, la planète doit trouver les moyens d’augmenter de façon significative la production alimentaire, notamment en optimisant sa capacité d’irrigation ou en améliorant la génétique des cultures. Et ce, en dépit de la menace que font peser sur elle des conditions climatiques extrêmes et imprévisibles.
Illustration: Jean-Bernard Ng Man Sun
Illustration: Jean-Bernard Ng Man Sun

Par Julie Fortier

Avec une population qui devrait atteindre les neuf milliards en 2050, la planète doit trouver les moyens d’augmenter de façon significative la production alimentaire, notamment en optimisant sa capacité d’irrigation ou en améliorant la génétique des cultures. Et ce, en dépit de la menace que font peser sur elle des conditions climatiques extrêmes et imprévisibles.

Il s’agit d’une statistique préoccupante. Selon un récent rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, à eux seuls, les pays de la région Asie-Pacifique devront augmenter leur production alimentaire de 77 pour cent d’ici 2050 pour être en mesure de subvenir aux besoins de leur population. Cette donnée inquiète Chandra Madramootoo, notamment en raison de la menace grandissante que font peser les conditions extrêmes sur les cultures. Le doyen de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’environnement de McGill et président fondateur de la Conférence annuelle de l’Université McGill sur la sécurité alimentaire mondiale, inaugurée en 2008, s’est entretenu avec en tête au sujet des diverses avenues étudiées par les chercheurs dans le monde pour tenter de combler les besoins alimentaires d’une population mondiale croissante.

À l’heure actuelle, quels sont les défis liés à la production alimentaire?

Les conditions climatiques extrêmes attribuables au changement climatique, comme les inondations et les sécheresses, constituent l’un des défis importants liés à la production d’aliments en quantité suffi sante. Selon les prévisions du Programme des Nations Unies pour l’environnement, la sécheresse et la chaleur extrêmes seront responsables de certaines des plus grandes pertes de production céréalière d’ici 2080, plus particulièrement en Afrique et en Asie. De plus, on dispose de très peu de terres agricoles pour le développement de la production alimentaire. Ainsi, on estime que de 45 à 50 millions d’hectares pourraient être utilisés, mais la plus grande partie de ces terres se trouve dans des régions où les sols sont pauvres et où l’accès routier est limité, ou dans des régions écologiquement vulnérables.

Notre production alimentaire n’est-elle pas en constante augmentation?

Chandra Madramootoo / Photo: Owen Egan
Chandra Madramootoo /
Photo: Owen Egan

Le rendement des cultures est une préoccupation importante. Entre le début des années 1960 et la fin des années 1980, nous avons observé de fortes augmentations du rendement des cultures, et ce, grâce aux nouvelles variétés de céréales à haut rendement; toutefois, au cours des 20 dernières années, cette croissance a ralenti considérablement. Ainsi, l’augmentation des rendements du blé est passée d’une moyenne annuelle de 2,75 à 0,5 pour cent. Ces chiffres représentent une moyenne mondiale et incluent des régions comme le Midwest des États-Unis, où le rendement est élevé. Dans les pays en développement, notamment en Afrique, le rendement des cultures est en déclin.

Comment peut-on relever ces défis?

L’irrigation, dont le potentiel est énorme, est l’une des façons d’améliorer le rendement des cultures. À l’heure actuelle, les terres irriguées ne représentent que 20 pour cent environ de toutes les terres agricoles, et produisent pourtant 40 pour cent des ressources alimentaires mondiales. À titre de comparaison, environ 80 pour cent des terres agricoles ne sont pas irriguées, et celles-ci ne produisent que 60 pour cent des ressources alimentaires mondiales. La conception de systèmes d’irrigation plus efficaces présente ses propres défis : le continent africain dispose d’importantes ressources en eau, mais, pour des motifs politiques, financiers ou logistiques, ces pays sont souvent incapables d’exploiter leur potentiel d’irrigation. Par exemple, de nombreuses ressources en eau font l’objet d’accords transfrontaliers. De plus, l’irrigation est tributaire d’investissements considérables en matière d’infrastructure que de nombreux gouvernements sont incapables de soutenir.

Comment la technologie nous aide-t-elle à améliorer la sécurité alimentaire?

La technologie nous aide de plusieurs façons. Elle peut alléger la charge de travail physique liée à la production de certaines céréales et aider les agriculteurs à produire des denrées plus savoureuses et plus nutritives. Elle peut également contribuer à la prise de décisions susceptibles d’améliorer les récoltes (voir « Agriculture intelligente, » page 30). L’amélioration de la génétique des cultures est aussi une avenue prometteuse. Une grande partie des efforts déployés est axée sur le développement de nouveaux cultivars capables de résister aux organismes nuisibles et aux maladies, ainsi qu’aux stress environnementaux liés à l’eau, à la sécheresse et à la chaleur attribuables au changement climatique. À partir du moment où nous avons défini les caractéristiques recherchées et créé de nouvelles variétés, des mécanismes doivent être mis en place pour permettre à ces nouveaux cultivars d’être reproduits et distribués aux agriculteurs. À cet égard, le maïs est une grande réussite. Alors qu’on comptait sept variétés avant 1970 dans l’est et le sud de l’Afrique, 455 variétés y sont aujourd’hui utilisées. Le secteur privé a joué un rôle de premier plan dans la distribution de ces variétés aux producteurs. Il est important que les gouvernements et le secteur privé travaillent de pair pour améliorer la distribution de nouvelles variétés de semences aux agriculteurs.

De quoi les gouvernements devraient-ils également se préoccuper?

Depuis les années 1960, les aspects non agronomiques de la production alimentaire, c’est-à-dire les marchés, les politiques, l’éducation, la formation et les infrastructures, jouent un rôle de plus en plus important dans la croissance de la productivité agricole mondiale. En réalité, ces aspects ont largement surpassé les facteurs agronomiques dans la plupart des régions, sauf en Asie. Si nous voulons accroître de façon significative les gains en productivité au cours des prochaines décennies, il nous faut maintenir ces taux de succès tout en améliorant le rendement des cultures.