Dans son essai Le Roman sans aventure, Isabelle Daunais examine le roman québécois, de la fin du xixe siècle aux années 1980
Lorsque nous lisons un roman, que nous apprend-il sur le monde de ses personnages? Que nous permet-il de découvrir qu’aucune autre forme de pensée nous permet de comprendre? Isabelle Daunais, professeure au Département de langue et littérature françaises de l’Université McGill et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’esthétique et l’art du roman, a exploré ces questions dans un livre salué par la critique, Le Roman sans aventure, publié en 2015 aux Éditions du Boréal. Et elle poursuit sa quête.
La Pre Daunais sera honorée pour la puissance et le rayonnement de sa mission professorale le 3 mai prochain. Elle recevra alors le Prix Killam en sciences humaines du Conseil des arts du Canada à l’occasion d’une cérémonie qui se tiendra à Rideau Hall, à Ottawa. Le Prix Killam figure parmi les distinctions les plus prestigieuses du Canada; d’une valeur de 100 000 $, il récompense chaque année cinq chercheurs œuvrant respectivement en sciences humaines, en sciences sociales, en sciences naturelles, en sciences de la santé et en génie.
En publiant son livre l’an dernier, Isabelle Daunais s’attendait à ce qu’il suscite une certaine controverse. La prémisse de l’ouvrage est la suivante : si les romans québécois publiés entre la fin du xixe siècle et les années 1980 n’ont jamais traversé leur propre frontière, c’est parce qu’ils représentent un monde trop stable et trop abrité pour être frappants et s’imposer comme repères. « J’ai vu un lien entre tous ces ouvrages de la littérature québécoise, explique l’auteure. Ils sont dénués d’aventure, c’est-à-dire qu’on n’y trouve pas de personnages qui se transforment à la suite de la transformation du monde dans lequel ils vivent. »
Habituellement, le roman raconte la transformation d’un personnage, causée par des changements de l’univers social dans lequel il évolue. Or, selon Isabelle Daunais, ces « romans sans aventure » trouvent leur source dans la société québécoise elle-même.
« Le Québec n’a pas vécu de guerres. La société québécoise a pour ainsi dire toujours été en retrait de l’histoire avec un grand H, à l’abri de transformations imprévues ou de bouleversements dramatiques», explique-t-elle.
Le Roman sans aventure porte sur le roman québécois jusqu’à l’aube des années 1990. Si Isabelle Daunais refaisait l’exercice en se penchant cette fois sur le roman québécois contemporain, ce serait une autre histoire, croit-elle. « Le Québec a beaucoup changé depuis le début des années 1990 », dit-elle.
Actuellement en année sabbatique, la Pre Daunais s’interroge sur le rapport entre le roman et la mémoire. « Le roman n’a pas pour objet la nouveauté, souligne-t-elle. Souvent, il nous parle de ce qui n’est plus. C’est un outil que notre culture s’est donné pour appréhender le monde. Je m’intéresse à ce que le roman nous apprend sur le temps, sur la façon dont nous nous délestons du passé et sur ce que nous nous efforçons d’en retenir », précise-t-elle. Son nouveau projet porte sur l’histoire de la mémoire par le roman. « Que nous apprend le roman sur notre façon de graver le passé dans notre mémoire?, demande-t-elle. Des façons d’être et d’agir révolues, toujours présentes dans notre esprit, mais par ailleurs disparues. »
Isabelle Daunais a fait son baccalauréat, sa maîtrise et son doctorat à McGill. Elle y enseigne depuis 2004.
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