Gouvernement Trudeau : fin de la lune de miel?

Alors que l’économie canadienne continue d’être mise à rude épreuve, la lune de miel avec les électeurs dont a bénéficié le premier ministre Justin Trudeau pourrait bien tirer à sa fin, selon Antonia Maioni. La professeure de McGill et commentatrice bien connue de la scène politique dresse un bilan des 100 premiers jours du gouvernement Trudeau.
Justin Trudeau lors d’un événement tenu à McGill en 2015. Photo : Adam Scotti
Justin Trudeau lors d’un événement tenu à McGill en 2015. Photo : Adam Scotti

Alors que l’économie canadienne continue d’être mise à rude épreuve, la lune de miel avec les électeurs dont a bénéficié le premier ministre Justin Trudeau pourrait bien tirer à sa fin, selon Antonia Maioni. Bilan des 100 premiers jours du gouvernement Trudeau avec la professeure de science politique de McGill.

Quelle est selon vous la plus grande réussite de Justin Trudeau dans les 100 premiers jours de son mandat? 

Je ne vous étonnerai pas en vous disant que c’est sa capacité à incarner le désir de changement, qui était le leitmotiv des élections de 2015. Ce thème du changement, on le perçoit dans la façon dont le style personnel de M. Trudeau est venu transformer l’image publique du rôle de premier ministre, dans le choix d’un cabinet ouvert, dynamique et diversifié et dans la détermination et le renouveau qui émanent désormais des institutions gouvernementales.

Qu’est-ce qui vous a le plus étonnée, tant du point de vue des réalisations que des faux pas?

Ce qui surprend, c’est à quel point les supposées faiblesses de M. Trudeau – le manque d’expérience, la priorité donnée à l’image – l’ont plutôt bien servi dans la mesure où on y a perçu un vent d’authenticité et de fraîcheur. Comme c’était le cas pendant la campagne, il est de toute évidence bien entouré, sur le plan tant personnel que politique, d’une garde rapprochée qui veille à lui procurer tout le soutien nécessaire pour assurer sa réussite. En ce qui concerne les faux pas, il y a eu quelques maladresses et quelques situations de la vie privée – l’affaire des gardiennes, par exemple – qui auraient pu faire couler plus d’encre si elles s’étaient produites après la lune de miel. Mais jusqu’ici le gouvernement libéral a réussi à maintenir l’attention du public sur quelques promesses électorales clés et ainsi mettre un frein à toute opposition ou critique digne de ce nom. Ce n’est qu’une fois la poussière retombée que l’on pourra véritablement juger de la mise en œuvre et de la durabilité de ces mesures.

Certains disent que le gouvernement n’a fait qu’évacuer les dossiers les plus simples et que la suite sera beaucoup plus ardue. À quel niveau de difficulté faut-il s’attendre et sur quoi porteront les défis à venir?

La véritable épreuve du pouvoir commence maintenant, à l’aube d’une période budgétaire qui tombe au beau milieu d’une conjoncture économique délicate. Le gouvernement devra prendre certaines décisions qui auront des conséquences à court ou à long terme. Il faudra faire les bons choix, car les décisions prises maintenant auront des effets tangibles sur l’économie canadienne et la capacité de chacun à traverser la crise financière qui s’annonce. Je ne pense pas seulement aux investissements dans les grands projets d’infrastructure ou aux mesures de stimulation de l’économie, mais aussi aux enjeux plus terre à terre, tels que le financement des soins de santé et la réforme des régimes de retraite. Les décisions du gouvernement donneront le ton en prévision des enjeux de gouvernance plus vastes comme les relations fédérales-provinciales.

Est-ce que les événements des derniers jours – comme l’attaque à Ouagadougou – pourraient être un point tournant?

Le premier ministre a réagi – aux attaques de Paris en général et à la tragédie du Burkina Faso en particulier – moins fermement que le gouvernement précédent et les gouvernements étrangers, et ce n’est pas passé inaperçu. En fait, sa réaction reflète la volonté tout à fait délibérée du gouvernement libéral de donner au Canada une nouvelle voix et un nouveau rôle sur l’échiquier mondial. Ainsi, il se posera désormais davantage comme un « intermédiaire » ou un « médiateur » que comme un acteur agressif ou une puissance militaire. Tout cela s’inscrit dans une certaine tradition libérale et va de pair avec la vision du monde de M. Trudeau, axée sur la paix et la prospérité. Mais certains pourraient se demander si cette attitude n’affaiblit pas la position du Canada dans le monde et si, chez nous, elle ne donne pas l’impression que le gouvernement minimise l’importance de la menace qui pèse sur les Canadiens, au pays comme à l’étranger.

Le Cabinet Trudeau se distingue par le nombre de nouveaux venus en politique qui détiennent des portefeuilles importants. Dans quelle mesure les Canadiens se montreront-ils tolérants si les ministres débutants commettent des erreurs en début de mandat?

Le Cabinet affiche une image de diversité, mais d’un point de vue idéologique, il y règne une grande cohésion et une loyauté à peu près inébranlable au chef. Pour les opposants à la centralisation apparus en politique canadienne depuis une génération, cette situation n’est sans doute pas idéale. Mais le bon côté de la chose, c’est que ces nouveaux venus ont le goût d’apprendre et sont disposés à s’en remettre aux données probantes ainsi qu’à l’expertise des ministères et des hauts fonctionnaires. Les décideurs seront dès lors mieux éclairés et, espérons-le, prendront des décisions cohérentes et obtiendront de meilleurs résultats.

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