Entretien avec Sophie Leblanc 

La cheffe de l’investissement et trésorière de l’Université McGill nous parle d’engagement des actionnaires, d’investissement à retombées sociales et des avantages de la stratégie de décarbonisation
Sophie Leblanc, cheffe de l’investissement et trésorière de l’Université McGill

Depuis 2019, l’Université a réduit de moitié l’empreinte de carbone de son portefeuille de placements, en éliminant quelque 73 000 tonnes d’émissions de CO2 par année. Cette admirable réussite est soulignée dans le rapport de 2023 sur l’investissement socialement responsable (ISR) du Comité des placements de McGill, présenté hier au Conseil des gouverneurs.  

Et ce n’est pas tout. Selon le rapport, McGill a atteint ou dépassé toutes ses cibles en matière d’ISR, et ce, deux ans avant l’échéance fixée. 

« La réalisation de nos objectifs de placement responsable a eu d’importantes retombées sur l’environnement et représente une belle avancée dans notre lutte contre les changements climatiques et notre engagement à atteindre la neutralité carbone d’ici 2040 », se félicite Sophie Leblanc, cheffe de l’investissement et trésorière de l’Université McGill, dans un communiqué

Elle a accordé un entretien au McGill Reporter au sujet des stratégies appliquées pour parvenir à ces remarquables résultats.  

McGill s’est engagée à réduire l’intensité de carbone de son portefeuille d’au moins 33 % par rapport à la valeur de référence d’ici 2025. Le rapport publié hier nous apprend que cet objectif a été dépassé, la réduction atteignant 37 %, deux ans avant l’échéance fixée. Comment avez-vous réussi cet exploit? 

L’une des clés de cette réussite réside dans notre solide engagement tout au long du processus.

Nous aurions pu nous en tenir à un simple désinvestissement des 200 plus grandes sociétés pétrolières et gazières cotées en bourse, celles qui figurent à la liste Carbon Underground 200, mais le niveau réel de décarbonisation aurait été moins important.

Nous avons préféré adopter une approche globale de la réduction de l’empreinte de notre portefeuille de placements. En plus de désinvestir de certains producteurs d’énergies fossiles, nous avons retiré de notre portefeuille des entreprises d’autres secteurs qui produisent beaucoup plus d’émissions de carbone.

Il subsiste donc des titres liés au secteur des énergies fossiles dans le portefeuille? Dans quelle proportion? 

Il reste moins de 1 % de titres de sociétés inscrites au Carbon Underground 200.

Dans ce cas, pourquoi n’avoir pas désinvesti complètement de cette industrie? 

C’est une question d’engagement auprès des sociétés du portefeuille et de cibles de réduction des émissions de carbone.

De toute évidence, le monde n’est pas encore prêt à se passer des énergies fossiles. Nous y parviendrons un jour, peut-être dans 40 ou 50 ans. D’ici là, McGill veut continuer d’exercer l’influence que lui confère son statut d’actionnaire pour inciter les entreprises à accélérer la réduction de leur empreinte carbone et à investir davantage dans les énergies propres.

Quand on cède ses actions, on n’a plus voix au chapitre.

De quelle façon McGill exerce-t-elle cette influence?

Par différents moyens, notamment en travaillant avec l’Association des actionnaires pour la recherche et l’éducation (SHARE). Depuis 2021, SHARE est notre fournisseur de services aux actionnaires. L’association représente nos intérêts et ceux d’autres actionnaires en ce qui a trait aux changements climatiques auprès des sociétés composant notre portefeuille, donnant plus de poids à nos arguments concernant la réduction des émissions de carbone, l’investissement public, la transition vers des énergies propres et la reddition de comptes.

Donc, si McGill avait désinvesti dès le départ, les résultats auraient été inférieurs à ceux présentés dans le rapport publié hier?

Quand nous avons constitué notre portefeuille, l’empreinte carbone associée aux titres équivalait à 160 millions de tonnes de CO2 par million de dollars investi. Le désinvestissement des entreprises du Carbon Underground 200 aurait permis de réduire cette empreinte d’environ 20 à 25 %. Grâce à la stratégie de décarbonisation, nous l’avons réduite de moitié depuis 2019.

Le désinvestissement seul n’aurait pas produit d’aussi bons résultats.

McGill a aussi dépassé ses cibles relatives aux investissements à retombées sociales. Pourquoi est-ce important?

Dans le rapport du Comité consultatif chargé des questions de responsabilité sociale (CCQRS), l’Université s’engageait à investir d’ici 2025 plus de 5 % des actifs de son portefeuille de placement dans des fonds contribuant à la décarbonisation, c’est-à-dire des investissements à retombées sociales. En décembre 2022, ces investissements représentaient 7,8 % du portefeuille.

Les investissements à retombées sociales visent un double objectif : produire un rendement, bien sûr, mais aussi apporter des améliorations concrètes et mesurables au profit de la société et de l’environnement.

McGill investit dans des entreprises qui tirent la majeure partie de leurs revenus de solutions écologiques et qui soutiennent la transition vers un avenir viable. Il s’agit de placements dans l’économie circulaire (recyclage, gestion des déchets, traitement des eaux), les énergies renouvelables et leurs infrastructures, l’immobilier durable et les obligations vertes.

Nous avons consacré plus de 140 millions de dollars à ces entreprises qui œuvrent pour un monde meilleur et plus respectueux de la planète.

Le rapport complet du Comité d’investissement 2022 sur l’investissement socialement responsable, ainsi que d’autres documents connexes peuvent être consultés sur le site du Service des placements de l’Université McGill.