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En fin de semaine dernière, le Département de langue et littérature françaises de McGill a accueilli des cégépiens dans le cadre d’une retraite d’écriture

Comme on pourrait s’y attendre, inviter des étudiants de Cégeps francophones à suivre des cours de littérature française dans une institution anglophone comme McGill University n’est pas un mince défi.

C’est pourquoi Pascal Brissette a décidé de relever ce défi. Selon le directeur du Département des littératures de langue française, de traduction et de création à McGill, la meilleure façon d’attirer des étudiants francophones est de leur fournir des bonnes raisons de vouloir s’inscrire à un programme de français dans une université essentiellement anglophone – des raisons peut-être insoupçonnées.

Pour attirer l’attention de ces élèves prospectifs, Brissette a pris contact au printemps 2018 avec des enseignants dans une quinzaine de Cégeps au Québec pour informer leurs étudiants au sujet d’une retraite de “création” de littérature française, qui a eu lieu le weekend dernier. Cette retraite proposait des ateliers d’écriture, des discussions, des présentations et des lectures publiques, le tout axé sur la création d’oeuvres de fiction ou de critique littéraire. Un(e) étudiant(e) particulièrement prometteur(se) recevrait également le prix Marc-Angenot, nommé en l’honneur du professeur émérite du Département de langue et littérature françaises et chaire James McGill d’étude du discours social.

« Nous avons le don Mordecai Richler qui nous permet de verser une bourse à un écrivain récipiendaire, » de dire Brissette, « ce qui représente une ressource assez extraordinaire que peu d’autres départements possèdent. » L’écrivaine québécoise Audrée Wilhelmy a rendu visite aux Cégeps l’année dernière pour parler aux étudiants et enseignants qui avaient manifesté leur intérêt pour la retraite.

Jeter des ponts ainsi auprès d’un grand bassin d’étudiants potentiels provenant de partout au Québec a produit son effet.

« Nous avons reçu des textes d’une quarantaine de candidats, » selon Brissette, dont huit ont été choisi pour assister à la retraite de deux jours. Cette idée a tellement plu aux étudiants de son propre département que Brissette leur a ouvert les candidatures, leur octroyant quatre places.

Créer des liens durables

Trois monitrices ont travaillé en groupes de 4 étudiants chacune, style tournoi à la ronde, et Catherine Leroux, écrivaine en résidence Mordecai Richler a tenu un atelier pour tous les participants sur la question de la ré-écriture ; comment transformer une première ébauche en prose élégante. Un autre atelier portait sur la construction d’un personnage – de quoi ont l’air les protagonistes, a-t-il une moustache, quel âge a-t-elle, ont-ils des enfants, etc.

Pour clore l’événement, les étudiants ont lu, en public à haute voix, leurs propres créations littéraires écrites au cours du weekend ­ – incorporant les conseils de Lise Vaillancourt, professeure à l’École Nationale de Théâtre du Canada et présidente du Centre des auteurs dramatiques.

La retraite s’insère dans le cadre d’un remaniement général du programme du département. Les liens avec les Cégeps n’étaient « pas simplement une opération de charme, » souligne Brissette. « Nous voulons jeter les bases d’une collaboration durable. Nous n’allons pas simplement leur donner une belle affiche et leur dire à quel point nous sommes intéressants. C’est une sorte de service qui s’inscrit dans la durée et que nous voulons agrandir. Les 15 Cégeps ne sont que l’embryon. Je suis confiant que c’est une opération qui prendra 2, 3, 4 ans de plus. Mais aussi quelque chose qui va s’inscrire dans le temps. »

Attirer des étudiants francophones à McGill

« Quand un étudiant commence à se demander quelle université choisir pour étudier la littérature française, il ne pense pas automatiquement à McGill, une institution de langue anglaise. On a un statut très étrange. Nous travaillons dans la langue officielle du Québec à l’intérieur d’une institution anglophone qui elle-même est dans une province francophone. Alors on est doublement dans l’angle mort. »

Par contre, deux éléments jouent en faveur du programme de littérature française à McGill, ajoute-t-il.

Le premier est l’élimination plus tard cette année de l’obligation de prendre un mineur en anglais.

« En raison du système multi-track (multi-pistes), nos étudiants devaient non seulement suivre une spécialisation dans un département mais ils devaient obligatoirement suivre un mineur dans un autre département. Sauf que tous les autres départements fonctionnent en anglais. Un francophone peut souhaiter ça, mais s’il ne le souhaite pas, il se dit : ‘ C’est ultra-compétitif si je veux avoir une bourse… Et en plus, il faut que le tiers de mes cours soient suivis en anglais ? ’ Il ne va pas faire ce choix.”

À partir de cet automne, cette obligation est abandonnée pour le Département de français, la seule faculté de lettres à recevoir cette autorisation.

Brissette note que l’autre avantage que son département peut mettre en valeur est sa taille – à l’inverse.

« Les étudiants veulent travailler avec un prof qui connait leurs noms. Et ici, c’est plutôt des profs et non des chargés de cours. On a du temps pour rencontrer nos étudiants ici. On a entre trois et 10 étudiants, max, par prof. »

Esprit de corps

Elissa Kayal, une étudiante de 19 ans au Cégep Saint Laurent – et une auteure déjà publiée ­­– est l’heureuse choisie, l’étudiante particulièrement prometteuse qui a gagné le prix Marc-Angenot.

« La littérature est ma grande passion, » explique Kayal, qui ambitionne de devenir romancière ou poétesse et qui a validé les conceptions de Brissette de bâtir des passerelles et de ‘plus petit c’est mieux.’ Sa nouvelle littéraire ‘Le mangeur de lettres’ a été publiée par la revue Zinc.

« En fait, je pensais aller à UQAM. Mais (l’écrivaine québécoise) Audrée Wilhelmy est venue nous parler au sujet de McGill et de la retraite, et tout ce qu’elle a dit m’a frappé. C’est ce que je recherchais. J’ai visité McGill avec deux amies et j’ai beaucoup aimé le côté plus petit, plus humain, l’esprit de corps. Ça m’a convaincu. »

Elle a écrit une méditation de 1 500 mots, « une grande métaphore sur le désillusionnement » qui a gagné le prix Marc-Angenot, y compris un montant de 500 $.

Pour Brissette, la retraite « a dépassé mes attentes. Les gens étaient dynamiques et nos étudiants ont fait bon ménage avec les élèves des Cégeps. »

« Les monitrices ont fait un travail superbe, la qualité des étudiants était excellente et la diversité incroyable : la diversité des écrivains, des expériences, des méthodes de travail. Un ouvrage était avant-gardiste, une autre était écrit dans le style de roman populaire et un autre dans le genre ‘thriller’. Incroyable. J’étais très, très fier. »

Elissa Kayal et Pascal Brissette , directeur du Département de langue et littérature françaises à McGill