Par Lev Bratishenko
Le Centre de recherche interdisciplinaire en musique, médias et technologie (CRIMMT), mis sur pied par l’Université McGill, l’Université de Montréal et l’Université de Sherbrooke en 2000, est reconnu pour ses travaux en acoustique virtuelle. Certains mélomanes montréalais se rappelleront sans doute les concerts – rares mais mémorables – que le Centre organise et pour lesquels on modifie l’acoustique de la salle sur simple pression d’un bouton. Mais le CRIMMT, c’est aussi un haut lieu de la recherche en génie, en technologies de l’information, en sciences de la prestation musicale et en pratique musicale étendue.
Prenons l’exemple d’Avrum Hollinger. Pendant qu’il étudiait à la maîtrise et au doctorat en technologie de la musique à McGill, il a inventé des instruments de musique dont on peut jouer en toute sécurité dans un appareil d’imagerie par résonance magnétique (IRM) sans nuire au fonctionnement de ce dernier. L’observation de musiciens jouant du clavier et du violoncelle à l’intérieur de l’appareil d’IRM a mis au jour de nouveaux aspects de la relation entre la musique et le cerveau, dont certains transcendent la sphère musicale pour s’inscrire davantage dans notre compréhension de la structure et du fonctionnement du cerveau. Les travaux d’Avrum Hollinger ont été supervisés par Marcelo Wanderley, boursier William Dawson, professeur de technologie de la musique à l’Université McGill et directeur du CRIMMT de 2011 à 2014, en collaboration avec des collègues de l’Université Concordia et de l’Institut neurologique de Montréal.
Le CRIMMT s’intéresse également à l’audition et au bruit. On y étudie des techniques antibruit, des techniques d’amplification auditive, des environnements de prestation interactifs ainsi que de nouveaux types de programmes de téléformation reposant sur l’enseignement à distance et la téléprésence.
Le CRIMMT s’est récemment vu attribuer une importante subvention pour rénover et réunir deux enceintes : la salle multimédia (SMM), située au sous-sol du Pavillon de musique Elizabeth Wirth de l’École de musique Schulich de l’Université McGill, et la salle Claude Champagne (SCC), salle de concert de l’Université de Montréal. Cette transformation est financée par la Fondation canadienne pour l’innovation, le gouvernement du Québec et le Fonds de recherche du Québec, ainsi que par des partenaires privés.
« Cette subvention exceptionnellement généreuse vient s’ajouter à plusieurs autres subventions et octrois et porte à 14,5 millions de dollars les sommes consenties au CRIMMT depuis 2011 pour le financement de la recherche et des infrastructures. C’est une somme hors du commun pour un centre de recherche en musique ou en sciences sociales », fait remarquer le Pr Wanderley, chercheur principal du projet.
La subvention fait partie d’investissements publics et privés totalisant 17 millions de dollars accordés au CRIMMT et à l’École de musique Schulich récemment et soulignés lors d’un événement qui s’est tenu le 2 juin.
Réunir deux espaces d’exception
Bloc de ciment aux allures de « boîte noire », la SMM de quatre étages fait office de laboratoire pour le CRIMMT et de studio d’enregistrement fort prisé des orchestres depuis l’ouverture du nouveau pavillon, en 2005. De par sa conception et sa construction, cette salle se veut une sorte de réserve faunique acoustique, un immeuble protégé au sein d’un autre immeuble, qui, grâce à cette injection de fonds, pourra enfin réaliser son plein potentiel en devenant un laboratoire de prestation musicale de calibre mondial.
Les rénovations, qui devraient durer neuf mois, comprennent l’installation d’un nouveau revêtement de sol, la pose d’éléments acoustiques amovibles de conception novatrice sur les murs et l’installation de systèmes acoustiques virtuels – qui conféreront à l’enceinte une grande souplesse acoustique en vue d’expérimentations diverses – ainsi que la mise en place d’une grille qui occupera tout le plafond et à laquelle les chercheurs pourront suspendre caméras vidéo, caméras de capture du mouvement, microphones et haut-parleurs.
Grâce à ce projet, la salle Claude Champagne (SCC) de l’Université de Montréal, qui est déjà un lieu de diffusion grandement apprécié des mélomanes, deviendra un lieu de recherche. À l’heure actuelle, la SCC peut accueillir un orchestre complet et un millier de spectateurs; dorénavant, elle sera dotée d’infrastructures permettant la collecte de données et de matériel de pointe pour la régulation des paramètres acoustiques ou autres.
Comme l’explique Caroline Traube, professeure à l’Université de Montréal, le nouveau matériel permettra aux chercheurs de recueillir des données diverses de façon simultanée. Ainsi, la salle sera équipée de caméras qui capteront les mouvements des artistes sur scène sous divers angles ainsi que de microphones de grande qualité. Une régie aménagée à l’arrière de la salle servira de studio d’enregistrement. Enfin, logés dans un tout nouveau laboratoire adjacent, les chercheurs pourront écouter et analyser la musique émanant de la salle de concert.
Lorsque tout sera en place, la SCC et la SMM seront unies dans un espace hybride physico-numérique aux possibilités expérimentales inédites. On pourrait, par exemple, relier l’auditoire et les artistes à un réseau de capteurs, puis faire écouter la même prestation à deux groupes de participants, l’un à McGill et l’autre à l’Université de Montréal. Les expérimentateurs pourraient même introduire des différences subtiles dans le rendu numérique et étudier l’effet obtenu en prenant comme point de comparaison le groupe témoin, assis dans la salle de concert.
« Ce qui distingue ce projet, c’est que toutes ces composantes sont unies les unes aux autres, explique la Pre Traube. Je ne connais aucun autre centre de recherche pouvant se livrer à une étude intégrée de la gestuelle musicale, de la téléprésence et des systèmes d’immersion pour de grandes formations. »
La nouvelle infrastructure favorisera la réalisation d’expériences où des artistes situés dans des lieux différents, parfois éloignés les uns des autres, s’unissent virtuellement le temps d’une prestation. Déjà, le CRIMMT a fait œuvre de pionnier en la matière dans le cadre du projet Open Orchestra, formation nouveau genre qui comprenait des musiciens en chair et en os, des enregistrements et des instrumentistes virtuels.
« Cette subvention nous permet d’aller plus loin dans l’interdisciplinarité », souligne Isabelle Cossette, professeure à l’École Schulich, directrice du CRIMMT et flûtiste spécialiste de la respiration et de la pédagogie instrumentale appuyée par la science. « Cette collaboration entre interprètes, compositeurs, professeurs et scientifiques nous aidera à comprendre les processus de composition, d’interprétation et de perception de la musique », conclut-elle.