Voir ce que les yeux nous révèlent

Au laboratoire de Christopher Pack, chercheur à l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal, les travaux portent sur la perception visuelle, en particulier sur la façon dont les neurones communiquent les uns avec les autres pour décoder ce que les yeux voient. Les chercheurs du laboratoire s’intéressent surtout au cortex visuel et réalisent des enregistrements au moyen de microélectrodes pour écouter les échanges de neurones individuels avec leurs voisins.
Au laboratoire de Christopher Pack, chercheur à l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal, les travaux portent sur la perception visuelle, en particulier sur la façon dont les neurones communiquent les uns avec les autres pour décoder ce que les yeux voient.
Au laboratoire de Christopher Pack, les travaux portent sur la perception visuelle, en particulier sur la façon dont les neurones communiquent les uns avec les autres pour décoder ce que les yeux voient.

Par Shawn Hayward

Sans le cerveau, les yeux ne sont rien. Bien qu’ils captent les photons que notre environnement immédiat renvoie, le cerveau doit convertir cette information en quelque chose de significatif, quelque chose qui nous aide à survivre et à prospérer.

Au laboratoire de Christopher Pack, chercheur à l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal, les travaux portent sur la perception visuelle, en particulier sur la façon dont les neurones communiquent les uns avec les autres pour décoder ce que les yeux voient. Les chercheurs du laboratoire s’intéressent surtout au cortex visuel et réalisent des enregistrements au moyen de microélectrodes pour écouter les échanges de neurones individuels avec leurs voisins.

Quand on sait que le diamètre d’un neurone est d’environ 20 microns (0,02 d’un millimètre) et que le cerveau humain compte 100 milliards de neurones, on prend toute la mesure du tour de force que représente l’écoute d’un neurone individuel.

Les échanges entre neurones s’effectuent en « code », et son décryptage constitue une partie importante des travaux du laboratoire du Pr Pack. Arriver à comprendre le code aiderait à déterminer de quelle façon ce que nous voyons affecte ce qui se produit dans notre cerveau.

C’est important parce que la vision n’est pas aussi simple qu’elle paraît à première vue. Par exemple, le bon sens voudrait que plus un objet devient gros, mieux on arrive à déterminer la direction de son mouvement. C’est exact, mais jusqu’à un certain point. Il y a environ 15 ans, des travaux en psychophysique menés par le Pr Duje Tadin et des collègues révélaient qu’à plus ou moins huit degrés d’angle visuel, notre capacité à percevoir la direction d’un objet en mouvement diminue à mesure que l’objet augmente de volume.

D’après les observations des chercheurs, cet effet se vérifie dans un cerveau sain. Or, chez les gens ayant certains troubles psychologiques, les personnes âgées et les personnes dont le QI est peu élevé, l’effet était plus faible, voire inexistant. Bref, les personnes que l’on considère en général comme ayant une atteinte au cerveau arriveraient à détecter la direction de gros objets en mouvement mieux que le reste d’entre nous.

« Toutes les personnes souffrant apparemment d’une altération quelconque réussissent mieux cette tâche que des gens qui sont dans la fleur de l’âge », explique le Pr Pack.

Afin de faire suite à cette recherche, les chercheurs du laboratoire du Pr Pack ont étudié chez des singes la capacité à voir des objets en mouvement, parce que les réactions d’un singe en santé à des stimuli visuels sont analogues à celles d’un humain. Les chercheurs ont aussi fait des enregistrements à partir de neurones individuels de la zone temporale moyenne (TM) du cortex visuel – une zone qui serait vraisemblablement responsable de percevoir des objets en mouvement. Les chercheurs ont remarqué que les neurones de la zone TM s’activaient normalement à la vue de gros stimuli, mais comme prévu, les singes avaient de la difficulté à détecter le mouvement d’objets de plus en plus larges. En fait, certains neurones individuels semblent encoder les stimuli mieux que les singes eux-mêmes.

Les chercheurs du laboratoire du Pr Pack ont observé que plus la taille des stimuli augmente, plus le « bruit » neuronal produit augmente. Le bruit est la partie du signal qui ne reflète pas directement ce qui est vu. On pourrait le comparer à des parasites statiques à la télévision, qui déforment la diffusion. Les travaux ont fait l’objet d’un article dans eLife Sciences le 26 mai 2016.

Les chercheurs du laboratoire du Pr Pack ont découvert que lorsque le stimulus était gros, nombre de différents neurones de la zone MT répétaient le même signal brouillé par le bruit. Ce type de bruit nuit considérablement au code neuronal.

« Ce qui entrave réellement la capacité à encoder un stimulus est le bruit, en particulier le bruit mis en corrélation dans différents neurones », souligne le Pr Pack.

L’étude de la relation mathématique entre le bruit et la perception d’un singe a permis de constater que le cortex visuel tente de supprimer le bruit et, ce faisant, à maintes reprises il bloque complètement les réactions à de gros stimuli.

Cette suppression est plus efficace dans un cerveau humain sain, car elle aide le cerveau à traiter des stimuli visuels et filtre ce qui est inutile. Cela pourrait expliquer pourquoi les personnes ayant des atteintes neurologiques voient mieux de gros objets en mouvement. L’aspect paradoxal ici est que le filtrage désavantage l’observateur.

Curieusement, comprendre ce processus pourrait aider les chercheurs à trouver comment contrebalancer les atteintes cérébrales et améliorer la vision.

« Si la suppression de ce bruit est le mécanisme qui nous empêche de percevoir le mouvement, nous pourrions vouloir agir sur cette suppression avec de nouvelles techniques à l’avenir », indique Dave Liu, chercheur au laboratoire du Pr Pack et auteur principal de l’article. « Cela pourrait permettre de comprendre ce qui fonctionne mal dans diverses maladies, comme la schizophrénie et l’autisme. »