Une fenêtre sur la dimension humaine des troubles mentaux

Anima #11, Stéphanie Beliveau
Anima #11, Stéphanie Beliveau

Ellen Corin analyse les réactions des visiteurs de l’exposition Regards sur l’art cru

Par Julie Fortier

En visitant une exposition à la galerie Les Impatients il y a quelques années, Ellen Corin a été frappée par ce qui se reflétait dans les œuvres qu’elle voyait.

«  Il s’agissait d’une confrontation directe avec la souffrance, la mort, la sexualité, la violence, des dimensions de l’expérience humaine parmi les plus fondamentales », explique la psychologue, professeure agrégée aux Départements de psychiatrie et d’anthropologie.

Les Impatients – ou la Fondation pour l’art thérapeutique et l’art brut du Québec – a comme mission de permettre aux personnes éprouvant des difficultés d’ordre psychiatrique d’avoir accès à des ateliers d’art thérapeutique et de démystifier la maladie mentale dans la collectivité par la diffusion de leurs créations.

Le penseur de Sylvain, Sylvain Huberdeau
Le penseur de Sylvain, Sylvain Huberdeau

La Pre Corin, dont les recherches sur l’expérience de la psychose sont fortement inspirées par l’anthropologie, s’est intéressée à connaître la portée des œuvres réalisées par les patients qui fréquentent l’endroit.

« Les Impatients jettent un pont essentiel en permettant aux personnes qui vivent un problème d’ordre psychiatrique d’exprimer une expérience angoissante puis en donnant au public la chance de voir la dimension humaine de ces expériences et en faisant ainsi appel à l’humanité au fond d’eux. »

Aujourd’hui engagée auprès des Impatients à titre de directrice du comité scientifique, Ellen Corin dirige actuellement un projet de recherche qui vise à documenter et analyser les réactions des visiteurs de la plus récente exposition du centre, Regards sur l’art cru.

Événement unique en son genre,  Regards sur l’art cru transcende les frontières en regroupant des œuvres d’artistes contemporains et de personnes fréquentant Les Impatients. L’exposition est centrée sur le thème de l’« art cru », tel que défini par l’historien de l’art Henri Barras. Selon Barras, l’art nommé « cru » comprend toute œuvre née de l’impulsion, de la nécessité absolue qui pousse un individu à faire de l’art, sans autre mobile que celui de s’exprimer.

Le cri (Puppet Man), James
Le cri (Puppet Man), James

Afin de volontairement « brouiller les catégories », les œuvres de l’exposition sont regroupées en grappes au sein desquelles œuvres d’artistes et œuvres d’« impatients » sont juxtaposées.

« Il est intéressant de voir comment le voisinage entre œuvres d’‘impatients’ et œuvres d’artistes jette un éclairage différent sur les unes et sur les autres », explique la Pre Corin.

Après avoir vu la cinquantaine d’œuvres, les visiteurs sont invités à faire part de leurs impressions soit en remplissant un questionnaire écrit ou par entrevue. Les réactions du public sont très variées, rapporte la chercheure.

« La vaste gamme de réactions est fascinante. Certaines personnes protestent de façon hostile. D’autres se laissent complètement déstabiliser, toucher et impressionner. Par exemple, une personne a émis des commentaires très négatifs lors de l’entrevue mais est venue trois fois voir l’exposition. C’est signe qu’il y a quelque chose qui dérange. »

Cette collaboration avec Les Impatients s’inscrit parfaitement dans l’approche d’Ellen Corin, qui prône la pluralité des pratiques dans le traitement des personnes souffrant de troubles psychiatriques et, plus particulièrement, de psychose.

« Avec le poids de la surcharge de travail, l’anxiété causée par les réorganisations du système et la forte légitimité accordée à la médecine factuelle et à l’approche pharmacologique, il n’y a pas beaucoup de place pour autre chose », souligne la chercheure.

Non titré, Louis Valentine
Non titré, Louis Valentine

Ayant fondé, en 1982, la Division de recherche psycho-sociale à l’Institut Douglas, la psychologue centre ses recherches sur les influences culturelles et sociales qui s’exercent sur des personnes souffrant de troubles psychiatriques. Ses patients sont issus de diverses communautés culturelles et ethniques.

Elle estime que les pratiques contemporaines laissent peu de place à la création d’un espace de parole pour le patient. Mais elle est persuadée que tout intervenant qui travaille avec des personnes psychotiques peut être sensibilisé à aller au-delà de l’approche conventionnelle.

« La rencontre avec une personne qui vit une psychose est déstabilisante, souligne-t-elle. Il faut accepter de remettre en question nos points de repère, tout comme on le fait en regardant les œuvres des Impatients. En étant davantage à l’écoute de cette personne, on peut mieux la soutenir et lui permettre d’être l’un de ses instruments de sa guérison. »

Juge moi pas, José Bernard
Juge moi pas, José Bernard

L’exposition  Regards sur l’art cru est présentée jusqu’au 23 novembre 2008 au 100, Sherbrooke Est, 4e étage (tél. : 514.842.1043; pour participer au projet de recherche : 514.761.6131, poste 3493 ou regards.crus@gmail.com)

Raw Art explained

Dr. Ellen Corin, Associate Professor at the Departments of Psychiatry and Anthropology, is leading a research project into the reactions of visitors to the art show “Looking at Raw Art” (Regards sur l’art cru), organized by the Les Impatients raw and therapeutic art foundation.

Les Impatients is a centre of artistic exploration open to people suffering from mental health problems. It offers art, art-therapy and music-therapy workshops as well as gallery space dedicated to showcasing the works of art created there.

The centre’s mission is to help demystify mental health issues.

“By allowing people suffering from a mental illness to express fundamental dimensions of the human experience through art and then reaching into the visitors’ own experiences, Les Impatients creates an essential bridge,” Dr. Corin said.

The art show removes boundaries by presenting works by professional artists and by Les Impatients’ participants. Shown in clusters and without distinction, the works have elicited a wide range of reactions.

As Director of the centre’s scientific committee, Dr. Corin wants to analyze exactly what effects these works have on those who view them. Visitors to this latest exhibit are asked to give their impressions by questionnaire or an interview.

“Some visitors are openly hostile, while others are profoundly touched and destabilized by what they’re seeing,” noted the researcher.

The drawings and engravings are created according to the theory of “raw art,” a concept encompassing all works born from an impulse or the absolute necessity to create without any goal other than to express one’s self.

The exhibit runs until Nov. 23 at 100 Sherbrooke St. East, 4th floor. For more information call 514-842-1043. To take part in the research project call 514-761-6131 ext. 3493 or email regards.crus@gmail.com.