Un laboratoire dans la cour arrière : explorer Montréal à travers ses initiatives en développement durable

J’ai eu le privilège cette année de participer au récent programme d’été Montreal’s Urban Sustainability Experience (MUSE) offert par l’École d’environnement de McGill en tant que chargée de cours. ENVR 490 : Montreal’s Urban Sustainability Analysis a pour objectif principal d’apprendre aux étudiants à analyser des initiatives de développement durable sur le terrain urbain de la Ville de Montréal.
Une pose du groupe MUSE aux Fermes Lufa, la plus grande serre commerciale sur toit au monde. / Photo courtesy of Mariève Isabel
Une pose du groupe MUSE aux Fermes Lufa, la plus grande serre commerciale sur toit au monde. L’auteure est la première personne en partant de la droite, à la première rangée. / Photo courtesy of Mariève Isabel

Par Mariève Isabel

On s’imagine parfois que les étudiants de la Faculté des arts n’ont pas ou ont peu d’occasions d’expérimenter le travail de terrain. J’ai moi-même d’abord cru que la section des livres rares de la bibliothèque McLennan ou peut-être, avec un peu de chance, les archives de la rue Viger constituaient les frontières de l’horizon de travail de terrain auquel je pouvais me permettre de rêver en tant qu’étudiante en littérature. J’avais tout faux. À preuve, certains de mes collègues ont exploré des fonds d’archives outre-mer, alors que d’autres se sont tournés vers le journalisme. Pour ma part, c’est à travers l’interdisciplinarité que j’ai pu vivre le travail de terrain, en combinant la littérature et l’environnement, notamment à travers le discours et l’histoire environnementale.

J’ai eu le privilège cette année de participer au récent programme d’été Montreal’s Urban Sustainability Experience (MUSE) offert par l’École d’environnement de McGill en tant que chargée de cours. ENVR 490 : Montreal’s Urban Sustainability Analysis a pour objectif principal d’apprendre aux étudiants à analyser des initiatives de développement durable sur le terrain urbain de la Ville de Montréal. Pour y arriver, nous, étudiants et instructeurs, avons exploré le concept de sustainability (un mot qui cause bien des mots de tête aux traducteurs) et différents outils d’analyse que nous avons ensuite testés sur des exemples concrets, à travers des visites pédagogiques et des conférenciers invités. L’autre cours du programme suivi par les mêmes étudiants, ENVR 480 : Unearthing Montreal, enseigné par Sylvie de Blois et Elena Bennet, vise pour sa part à reconstruire l’environnement physique et naturel de Montréal à travers le temps.

Ce projet de longue haleine, appelé Hochelaga et inspiré de l’initiative d’Eric Sanderson « Mannahatta », permet aux étudiants de penser le développement urbain au passé, présent et futur, et de s’interroger sur la transformation de l’espace. Qu’arrive-t-il aux rivières, aux forêts, à la faune lorsqu’une ville se développe? À quoi ressemblait le campus il y a 200 ans? Plusieurs ponts existent entre les deux cours. Alors que certains projets de développement durable ont la cote ces années-ci (et avec raison – pensons seulement à l’agriculture urbaine, au verdissement urbain et au transport en commun), il est bon de se rappeler que les potagers, par exemple, étaient courants à travers la ville il y a quelques décennies à peine. Quelles autres initiatives défaisons-nous et reconstruisons-nous plus tard? À quel prix? Et surtout, pourquoi et au nom de quelles idées? Quels sont aujourd’hui les obstacles au développement durable et comment les surmonter en réfléchissant à ce qui a déjà été? Voici certaines des questions que je me suis posées, un échantillon parmi celles que les étudiants notaient quotidiennement dans leur journal.

Mais revenons sur le terrain. Pendant quatre semaines intensives, avec 20 étudiants de premier cycle et Julia Freeman, la coordinatrice de MUSE et co-enseignante d’ENVR 490, nous avons exploré l’île de Montréal. Ce travail a nécessité beaucoup de recherche, d’appels et de choix. Quels projets allions-nous présenter aux étudiants? Ceux qui les inspireront ou ceux qui leur montreront que tous ne sont pas encore convaincus de la pertinence de penser à long terme? Même les meilleures initiatives rencontrent des difficultés de taille. Quels outils leur ont permis de perdurer? Quels arguments? Nous sommes donc allés voir in situ quels étaient les éléments déterminant le succès ou l’échec de ces initiatives. Nous avons pu discuter avec des leaders inspirants et mieux comprendre, à travers nos questions et nos discussions, les implications multiples et complexes de ces projets.

Les commentaires reçus et les questions posées par les étudiants m’ont convaincue de la pertinence de sortir des murs de notre salle de classe (sans fenêtre, qui plus est). Par exemple, après avoir visité certaines initiatives sur le campus et discuté avec les responsables de ces projets, certaines barrières au développement durable et certaines zones grises sont devenues plus visibles, favorisant la discussion et la recherche de solutions. Lors d’une visite à Sentier urbain, un organisme qui transforme des terrains vacants en véritables forêts urbaines miniatures, nous sommes allés sur le site d’un jardin détruit et nous nous sommes interrogés sur la pérennité de certaines initiatives et sur l’importance de la participation citoyenne. Un invité du Champ des possibles – une organisation qui travaille à l’établissement d’une réserve de biodiversité dans Rosemont – a soulevé la question de la définition d’un espace vert, qui ne se limite pas au traditionnel parc urbain gazonné. La passion et l’enthousiasme de notre hôte aux Fermes Lufa, la plus grande serre commerciale sur toit au monde, nous a permis de rêver et nous a encouragés à repenser le possible. Tout au long de ces visites, il est apparu évident que tout peut se transformer en occasion d’apprentissage, jusqu’au moyen de transport utilisé pour se rendre à bon port.

L’un des aspects qui m’a peut-être le plus frappée lors de cette expérience est à quel point nous ne voyons pas, souvent, ce qui se trouve autour de nous. Une visite au mont Royal m’a fait réaliser qu’une grande majorité des étudiants de McGill n’y mettraient jamais les pieds durant leurs études. De même, plusieurs d’entre nous passons chaque jour à côté des bacs à légumes et des jardins comestibles du projet Edible Campus, installé autour du pavillon Burnside, sans même les remarquer ou se demander qui consomme ces aliments!

Finalement, certaines questions pressantes pour la société nous rappellent que le campus et la ville où nous évoluons sont eux-mêmes des laboratoires ouverts à partir desquels il nous est possible d’apprendre les uns des autres. Sortir de la salle de classe et explorer la ville permet non seulement de réveiller la curiosité et la spontanéité, des outils pédagogiques non négligeables, mais aussi de prendre le temps de voir ce qui nous entoure, de rencontrer des agents de changement innovateurs et de réfléchir plus profondément au rôle que chacun d’entre nous peut jouer au sein même de sa communauté, quelle que soit l’échelle à laquelle nous désirons nous impliquer.

Pour plus d’information sur le programme d’été Montreal’s Urban Sustainability Experience (MUSE), visitez le www.mcgill.ca/mse.

Mariève Isabel est étudiante au doctorat au Département de langue et littérature françaises, en littérature québécoise et environnement. Elle collabore régulièrement avec l’École d’environnement de McGill en tant que chargée de cours ou auxiliaire à l’enseignement.