Un double X dans l'équation du mouvement

Plusieurs sondages récents ont montré que la majorité des écoliers et étudiants du Québec, ainsi que, parfois, leurs professeurs, ont une vision encore très stéréotypée de ce que peut être le scientifique typique. Il porte une blouse blanche. Ses cheveux semblent défier la gravité. Dans sa main fume une fiole de liquide nauséabond. Je dis “il”, parce que, dans l’imaginaire collectif, le scientifique ordinaire se doit d’être un homme.
Edition 2013 de la conférence des femmes en physique au Canada à l'université Simon Fraser, C.B. / Photo courtesy of Annabelle Chuinard
Edition 2013 de la conférence des femmes en physique au Canada à l’université Simon Fraser, C.B. / Photo courtesy of Annabelle Chuinard

Par Annabelle Chuinard

Plusieurs sondages récents ont montré que la majorité des écoliers et étudiants du Québec, ainsi que, parfois, leurs professeurs, ont une vision encore très stéréotypée de ce que peut être le scientifique typique. Il porte une blouse blanche. Ses cheveux semblent défier la gravité. Dans sa main fume une fiole de liquide nauséabond. Je dis “il”, parce que, dans l’imaginaire collectif, le scientifique ordinaire se doit d’être un homme. Au-delà du stéréotype physique, les hommes de sciences sont perçus comme étant des personnes socialement isolées, du fait de leur dépendance au travail. Cette image globalement négative reste massivement véhiculée à travers les médias du divertissement et notamment le cinéma, où les personnages scientifiques sont très souvent de nature excentrique voire malicieuse. Cette perception erronée influence sensiblement la collectivité en discréditant la communauté scientifique dans certains contextes politiques mais aussi, et surtout, en dissuadant bien des jeunes de poursuivre une carrière dans le domaine des sciences.

Les stéréotypes ont la peau dure, mais les efforts pour tenter de les éradiquer sont nombreux et ils portent leurs fruits. En tant qu’étudiante diplômée en physique, j’en suis un assez bon exemple. Et me voici devant le portail d’une des plus prestigieuses universités d’Amérique du Nord. La route a été longue. J’ai fait mon baccalauréat et ma maîtrise à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne. Une grande et belle école. Six années de défis sanglants avec des questions plein la tête. L’une d’entre elles revient sans cesse : « Mais que diable allais-je faire dans cette galère ?». Et pourtant, je suis là devant ce portail à McGill avec mon diplôme en poche et l’espoir à peine dissimulé de révolutionner le monde.

Celui qui comprend la physique, comprend le monde. On a tendance à oublier qu’il s’agit d’une science fondamentale. Fondamentale parce qu’elle est le socle sur lequel se construisent les autres sciences. J’admire à quel point tous les domaines de la physique s’interconnectent pour former le gigantesque puzzle de l’univers que nous avons aujourd’hui. On est en passe de réconcilier l’infiniment petit avec l’infiniment grand. On farfouille dans le passé du cosmos pour mieux prédire son futur. S’il y a une chose qu’un physicien doit avoir, c’est une vision globale.

À l’automne 2012, j’ai commencé mon travail de doctorat en physique des hautes énergies dans le groupe ATLAS de McGill. ATLAS est une des expériences de physique des particules basée au CERN, dans le Large Hadron Collider (LHC), près de Genève. Si vous avez déjà entendu parler de la découverte de la fameuse particule de Higgs l’été dernier, vous savez certainement de quoi il s’agit. Pour les néophytes, le boson de Higgs est une des particules qui manquait pour expliquer complètement le modèle physique, qui, dans notre doux jargon, est appelé «modèle standard». La pièce manquante a été trouvée mais beaucoup de questions restent en suspens. Au sein de l’expérience ATLAS, les physiciens s’attèlent maintenant à établir les propriétés de ce boson pour tenter de percer certains des grands mystères de l’univers et tout particulièrement celui de l’existence de matière noire qui, avec l’énergie sombre, constitue 96% de notre univers. Voilà comment une petite particule peut donner une information colossale sur la constitution même de notre Univers et sur son histoire. «Une vision globale !», vous dis-je !

J’aimerai croire que la lecture de ce plaidoyer excitera les zones de votre cerveau liées à la curiosité, ou, comme pour moi, celles liées à l’amour irrationnel. Tout le monde se pose des questions sur les choses du monde et leurs origines. Tout le monde est en droit de tenter d’y répondre, avec ou sans la physique, même si, à mon sens, la physique est l’outil le plus puissant et poétique permettant d’y parvenir.

Je m’étonne que si peu de femmes se lancent dans une carrière de physicienne. Ce n’est certainement pas par désintérêt, encore moins par inaptitude. Je présume que le stéréotype du scientifique machiavélique et asocial y est pour beaucoup. Je suppose que la différenciation des sexes dans l’éducation joue un rôle. Il me semble également que le fait de travailler dans un milieu conçu et dominé en nombre par les hommes apparaît trop souvent comme une fatalité au lieu d’être vu comme un défi. Il est vrai que la présence féminine me manque parfois mais j’apprécie aussi énormément le fait de collaborer avec des personnes du sexe opposé. La différence des sexes ne m’a que rarement pesé car ce que j’apprécie avant tout particulièrement, c’est l’esprit du physicien et non ses caractéristiques physiques.

La semaine dernière, j’ai participé à une conférence intitulée Women in Physics in Canada, à Vancouver, sur le campus de l’université Simon-Fraser. Cela a été l’occasion pour moi de rencontrer plusieurs personnalités intéressantes. Au-delà du contenu strictement scientifique, cela m’a donné quelques clés pratiques quant au fait de conjuguer projets familiaux et académiques. Des pistes intéressantes vis-à-vis des possibilités de carrières autres qu’au sein du milieu universitaire ont été suggérées. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, un diplôme en physique est un énorme laissez-passer pour l’enseignement, l’industrie, le milieu des affaires et même la communication. Une des intervenantes, docteure en physique, travaillait dans le secteur de la vulgarisation scientifique. Elle insistait sur l’influence positive que pouvait avoir auprès des jeunes et de la population en général la présence d’acteurs féminins dans le domaine de la communication scientifique.

L’association Éclairs de sciences propose aux étudiants aux cycles supérieurs du Québec d’agir comme consultants scientifiques pour les écoles secondaires de la région. L’idée est de redynamiser les cours de sciences en introduisant notamment des idées nouvelles pour ce qui est des démonstrations expérimentales réalisées en classe (plus d’information sur http://www.eclairsdesciences.qc.ca). Voilà un projet qui me séduit. Je m’inscris au programme pour l’année à venir.

J’ai toujours autant de questions dans la tête mais ce ne sont plus les mêmes. La galère est devenue un paquebot. Il vogue vers des territoires inconnus. Ça tombe bien, nous, les physiciens, on a le goût de l’exploration.

Annabelle Chuinard is a student in experimental High Energy Physics at McGill. She is doing her PhD within the ATLAS collaboration working on data from the Large Hadron Collider (CERN, Geneva). She holds a degree from the Swiss Federal Institute of Technology, Lausanne.

 

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Le Boson sauvage
10 years ago

– Essayer de comprendre et partager les connaissances – Votre description du scientifique, chère Anabel, me fait penser au Suisse-Américain, Albert Einstein. Il est, il est vrai, le scientifique type par excellence. Et pourtant, cela n’a pas été facile pour le jeune homme qu’il était à l’époque. Il a du repasser l’examen d’entrée à l’École polytechnique fédérale de Zurich en Suisse. Il se disait souvent « incapable de suivre les cours, de prendre des notes et de les travailler de façon scolaire». Par la suite, je ne sais si « il a tiré la Langue » pour trouver ses célèbres… Read more »

Jac Ch.
10 years ago

>> Les femmes scientifiques victimes d’inégalités << Le Nouvel Observateur ‎- il y a 1 heure Les femmes chercheurs reçoivent moins de financements queleurs homologues masculins. Et le montant des subventions est moins important .. Une étude publiée dans la revue British Medical Journal Open met en lumière le fait que les femmes chercheurs voient moins souvent leurs projets de recherche obtenir des financements que les scientifiques masculins. Et cette inégalité va encore plus loin, car même lorsqu’elles obtiennent des fonds, le montant de l’enveloppe financière serait également moins important que celui de leurs homologues de l’autre sexe. La suite… Read more »