Pour un accès plus équitable aux soins dentaires
Par Julie Fortier
C’est un peu par vocation et beaucoup grâce au destin que Paul Allison est arrivé à McGill il y a 15 ans. Il était tombé amoureux d’une Montréalaise peu de temps auparavant et a donc quitté sa Grande-Bretagne natale. Complétant d’abord des études doctorales et postdoctorales à la Faculté de médecine dentaire, il est devenu membre du corps professoral en 1999, puis a été nommé doyen il y a un an. Le McGill Reporter l’a rencontré récemment pour discuter d’un sujet qui le préoccupe : l’accessibilité aux soins dentaires.
Qu’est-ce qui a vous amené à vous intéresser à l’étude des facteurs psychosociaux qui influent sur la santé buccodentaire?
Alors que j’étais résident en chirurgie buccale et maxillofaciale, j’ai commencé à m’interroger sur le raisonnement qui motivait les chirurgies. Que ce soit le retrait de dents de sagesse ou le traitement du cancer de la bouche et de la gorge, nous traitions parfois des patients dont l’état ne s’améliorait aucunement après la chirurgie. Un jour, un de nos patients, un homme dans la cinquantaine, est mort des suites d’une anesthésie générale. Évidemment, il s’agit d’un cas extrême et rare, mais qui représentait pour moi un exemple de ce qui peut arriver lorsqu’on ne questionne pas assez les justifications appuyant tel ou tel traitement.
Cet événement décisif a donc provoqué votre réorientation vers la santé publique. Quel genre de questions les intervenants en santé buccodentaire doivent-ils se poser?
Je m’intéresse particulièrement aux aspects psychosociaux ayant un impact sur la santé des gens ou qui déterminent leur comportement. Nos choix sont motivés par plusieurs éléments. Plusieurs barrières, qu’elles soient financières, culturelles ou autres, peuvent expliquer que quelqu’un n’ira pas recevoir le traitement dont il aurait besoin. Nous devons nous demander quel est le parcours de vie de la personne qui vient nous consulter et quel en sera l’impact sur la manière dont elle recevra le diagnostic ou les conseils de traitement. Beaucoup de problèmes de santé chronique résultent de la pauvreté, d’une alimentation déficiente, de l’ignorance ou d’un certain mode de vie. Je trouve que l’on n’enseigne pas suffisamment aux futurs dentistes ou médecins à tenir compte des déterminants psychosociaux de la santé.
La formation des futurs dentistes – ou médecins – gagnerait donc à être bonifiée.
En général, la formation est très axée sur les causes « biologiques » des problèmes de santé. On nous apprend que telle maladie est causée par tel microbe ou telle bactérie, par exemple. D’accord, mais allons voir plus loin. Car ce microbe ou cette bactérie peut rendre une personne malade, alors qu’elle n’affectera pas la santé d’une autre. Il faut tenir compte d’un ensemble d’éléments dans la vie de quelqu’un pour déterminer ce qui a causé sa maladie. Et je trouve cela fascinant.
Comment votre intérêt pour la santé publique a-t-il influencé l’évolution de l’enseignement à la Faculté de médecine dentaire de McGill?
Nous sommes une petite faculté, ce qui facilite l’échange d’idées et la discussion. Les professeurs se connaissent tous très bien et partagent des idées complémentaires. Nous empruntons une approche assez novatrice depuis un certain nombre d’années déjà. Mon prédécesseur, James Lund, a mis en place le programme communautaire de la faculté (Outreach Program), la seule clinique dentaire mobile au Québec. En plus de proposer une expérience pratique aux étudiants, le programme offre des soins dentaires à des groupes défavorisés de Montréal ou à des personnes qui ne peuvent se déplacer.
Les étudiants que nous accueillons souhaitent recevoir une formation plutôt pratique qu’ils utiliseront en cabinet. On leur enseigne que pour la maladie X, il existe le traitement Y et ils appliquent ensuite cette connaissance en laboratoire. Mon approche étant peut-être un peu plus « philosophique », j’ai voulu trouver un moyen de la mettre en œuvre de manière concrète. J’ai donc créé le cours Clinical Decision Making, dans le cadre duquel les étudiants sont amenés à se questionner et à discuter du traitement du patient, mais aussi des facteurs de prévention. Ils doivent essayer de comprendre qui est leur patient et les raisons de sa maladie.
La relation dentiste et patient est au cœur de votre approche.
Tous les professeurs reconnaissent que nous devons favoriser davantage le développement des habiletés de communication des dentistes que nous formons. De nombreux problèmes de santé sont chroniques et ont des causes complexes. Prenez la carie dentaire par exemple. Nous ne pouvons simplement dire : « Je vais faire un plombage à cet enfant et voilà, c’est réglé ». Nous devons amener nos étudiants à voir plus loin, à se demander pourquoi cet enfant consomme trop de sucre.
L’accès aux soins est une problématique qui vous interpelle particulièrement. Quel diagnostic faites-vous de la situation actuelle?
Je crois que les facultés de médecine dentaire forment en général des dentistes compétents capables d’offrir des soins de qualité. Ils arrivent ainsi à répondre aux besoins d’environ 70 pour cent de la population, qui ont les moyens de s’offrir ces services, peuvent facilement se rendre dans un cabinet de dentiste, n’ont pas de barrières au niveau culturel ni de craintes particulières. Mais il reste environ 30 pour cent des gens qui n’ont pas accès à ces soins. Les personnes âgées, par exemple, ne souscrivent plus à un régime d’assurance et sont souvent limitées dans leurs déplacements. Or, les gens qui ont un accès limité aux soins sont souvent ceux qui présentent le plus de problèmes de santé dentaire. Nous devons former nos étudiants de façon à ce qu’ils puissent et souhaitent répondre aux besoins de ces clientèles – âgée, pauvre ou immigrante – plutôt que de les attendre dans leur bureau. Il faut les équiper afin qu’ils puissent interagir avec toutes sortes de gens. Très peu d’institutions enseignent cela.
Comment une telle approche pourrait-elle se traduire, concrètement?
Nous devons développer des partenariats dans la collectivité avec des groupes ou des centres – des CLSC ou des résidences pour personnes âgées, par exemple – qui ont une volonté d’investir à long terme pour offrir des soins à leurs membres. À mon arrivée comme doyen, j’ai engagé quelqu’un dont le rôle est spécifiquement de faire ce travail de proximité, d’identifier des organismes prêts à collaborer avec nous afin que nous mettions en place des cliniques « satellites ».
Nous pouvons également agir au niveau du recrutement de nos étudiants. Des recherches ont démontré que les professionnels les plus susceptibles d’aller travailler dans des milieux défavorisés sont justement ceux provenant de ces milieux. Nous recevrons à McGill, le 21 mai prochain, le doyen de l’école de médecine dentaire de l’Université de l’Illinois à Chicago, qui nous parlera d’une nouvelle approche de recrutement adoptée par une quinzaine d’institutions américaines. La stratégie vise en particulier les populations noire, hispanique et autochtone et cherche à faciliter, encourager et promouvoir leur accès aux écoles de médecine dentaire. Nous pourrions peut-être tirer profit de l’expérience américaine.
Quels obstacles voyez-vous à l’élaboration d’une stratégie semblable au Québec?
Il y en a plusieurs. D’abord, à la fin de ses études, un diplômé en médecine dentaire doit rembourser une dette énorme, qui peut atteindre les centaines de milliers de dollars. Sans compter qu’ouvrir un cabinet comporte des frais importants. Je comprends que la priorité d’un jeune dentiste soit d’abord d’assurer la survie de sa pratique.
Nous pourrions remettre en question certains éléments du système actuel. Il y a très peu de dentistes au service d’un CLSC, par exemple. En même temps, il ne faut pas perdre de vue le dentiste qui a choisi d’ouvrir son bureau dans un milieu défavorisé et qui s’est lentement bâti une clientèle. L’arrivée d’un dentiste salarié dans le quartier offrant des services plus abordables peut lui nuire énormément.
Nous devons aborder ces différentes questions avec les ordres professionnels, les autres institutions d’enseignement et les organismes communautaires. Je pense qu’il y a actuellement une prise de conscience au sein de la profession et au niveau politique ainsi qu’une volonté d’aborder le problème que représente l’accès aux soins dentaires.
Le premier emploi de Paul Allison
J’ai travaillé à la cuisine d’un centre de villégiature de Hayling Island, près de Portsmouth, en Angleterre, l’été de mes 16 ans. J’épluchais et je coupais les pommes de terre – des tonnes de pommes de terre! – qui servaient à faire les frites.