L’avenir de la science passe par le partage

L’avenir de la médecine personnalisée passe par le partage de données, affirment Yann Joly, directeur de recherche du Centre de génomique et politiques, et Guillaume Bourque, directeur du Centre canadien de génomique computationnelle. Les chercheurs sont aussi professeurs agrégés au Département de génétique humaine de la Faculté de médecine.

Montréal, c’est bien connu, est un centre d’excellence en intelligence artificielle et conception de jeux vidéo. Or, plusieurs collaborations internationales annoncées dans les dernières semaines confirment que la métropole est en train de se hisser au rang de chef de file mondial dans un autre domaine : le partage de données médicales et génomiques. McGill dans la ville s’est rendu au Centre d’innovation Génome Québec et Université McGill afin de discuter d’épigénétique, de science ouverte et de médecine personnalisée avec Guillaume Bourque, directeur du Centre canadien de génomique computationnelle, et Yann Joly, directeur de recherche du Centre de génomique et politiques.

Cela fait maintenant plus de 15 ans que le génome humain a été séquencé, un exploit qui devait permettre de percer les mystères de la génétique et de nombreuses maladies. Où en sommes-nous aujourd’hui?

G.B. : Le séquençage du génome humain, c’était une première étape importante. Après cette grande réussite, l’un des biologistes associés au projet [Eric Lander] avait déclaré : « Genome: Bought the book; hard to read. » C’est donc dire qu’aujourd’hui, on dispose de l’ensemble de la séquence des gènes de l’humain – le code – mais qu’il faut maintenant essayer de comprendre comment notre corps utilise l’information génétique dans différents contextes. Par exemple, les cellules de notre corps ont toutes dans leur noyau le même génome, le même ensemble de gènes, mais elles sont pourtant très différentes les unes des autres.

Qu’est-ce qui explique ces différences?

G.B. : Chaque type de cellule du corps humain est le résultat d’une combinaison de gènes, mais l’activation de ceux-ci dépend d’une série d’annotations moléculaires. Ces annotations, qu’on appelle « épigénome », indiquent quels gènes doivent être activés et déterminent ainsi si une cellule deviendra une cellule sanguine ou un neurone. L’épigénome est dynamique et se transforme en fonction du stade de développement des cellules et de leur environnement. Aujourd’hui, on sait que plusieurs maladies apparaissent lorsque ces instructions sont perturbées.

La cartographie de l’épigénome est donc tout aussi importante que l’était celle du génome?

G.B. : Oui, et c’est la raison pour laquelle nous participons à un projet en collaboration avec le Consortium international de l’épigénome humain : une équipe internationale de scientifiques (Canada, Union européenne, Allemagne, Hong Kong, Japon, Singapour, Corée du Sud, États-Unis) espère dresser le profil épigénétique de 1 000 types de cellules humaines dans leur état normal. Un peu dans le même esprit que le projet Génome humain, qui a mené au séquençage du code génétique, l’idée est de partager ces informations, qui seront recueillies et mises à la disposition de chercheurs de partout sur la planète. Ils pourront ainsi comparer l’épigénome de cellules malades à celui de cellules saines, repérer les processus moléculaires déréglés dans une maladie donnée et explorer de nouvelles avenues thérapeutiques.

C’est donc une démarche qui s’inscrit dans la mouvance de la science ouverte?

Y.J. : Oui, mais le partage des informations présente certains défis. Certaines informations médicales proviennent de pays où les lois qui encadrent l’utilisation de ce type de données sont très différentes des nôtres. Les scientifiques doivent donc faire de nombreuses demandes auprès des pays partenaires et patienter parfois jusqu’à un an avant de pouvoir utiliser les informations. Pour faciliter le partage de ces bases de données, nous avons donc monté un projet (EpiShare) avec la Global Alliance for Genomics & Health. L’objectif, c’est d’élaborer un cadre réglementaire et des outils informatiques qui assureront un partage sécuritaire et responsable des données, de manière quasi directe, avec les scientifiques.

Quel est l’apport de l’Université McGill à cet effort collectif?

Y.J. : Il faut respecter certaines règles en matière de consentement et de protection de la vie privée par respect pour les gens qui ont autorisé l’utilisation de leurs données médicales à des fins de recherche. Le Centre de génomique et politiques de l’Université McGill est particulier, parce qu’il est composé de chercheurs issus de diverses disciplines. Grâce à notre approche multidisciplinaire et comparative, des spécialistes de la génomique travaillent avec des chercheurs qui s’intéressent aux répercussions sociales, éthiques ou juridiques de la recherche fondamentale de leurs collègues. C’est un modèle unique au Canada et peu répandu ailleurs dans le monde, et c’est pourquoi déjà, nous jouons un rôle important dans un certain nombre de consortiums canadiens et internationaux voués au partage d’informations médicales et génétiques.

Plusieurs rêvent du jour où les gens seront traités en fonction de leur profil génétique. Dans quelle mesure est-ce que le partage de données pourra conduire un jour à la médecine personnalisée?

G.B. : Certaines maladies sont tellement rares qu’il est difficile de les étudier. Imaginez une maladie dont cinq cas seulement sont répertoriés à l’échelle du pays… Lorsque ce genre d’information génétique est partagée dans une base de données internationale, on augmente les chances de trouver d’autres patients qui ont les mêmes mutations, ce qui permet de mener des études plus solides pour comprendre la maladie et trouver des traitements. Pour moi, cela ne fait aucun doute : le partage d’informations médicales à l’échelle planétaire, comme ce que nous proposons de faire dans le cadre d’EpiShare, sera essentiel à l’évolution de la médecine personnalisée.