L’Arctique, ce vaste espace au sommet de la Terre, qui frappe l’imaginaire par ses paysages à couper le souffle et ses animaux mythiques comme l’ours polaire. L’Arctique est aussi un territoire habité, et ce, depuis des milliers d’années par une multitude de groupes autochtones. De nos jours, sa population est très diversifiée et frôle les quatre millions d’habitants.
Mais depuis quelques années, l’Océan Arctique est sur toutes les lèvres en raison des changements sans précédents qui s’y produisent. En effet, le réchauffement climatique s’y manifeste à un rythme accéléré, amenant son lot d’impacts physiques, écologiques, et sociaux. Les impacts écologiques ont des répercussions sociales, et vice-versa. Par exemple la perte de banquise peut affecter les migrations et les mouvements des baleines, et par conséquent les chasseurs Inuit, qui pourraient ainsi avoir plus de difficulté à trouver les animaux. La fonte du couvert de glace pourrait aussi mener à une plus grande productivité marine, et ainsi à des pêcheries plus abondantes. La région vit également un boom industriel, avec de nombreuses industries qui y convoitent des ressources encore jusque-là intouchées. Ces activités créent des retombées économiques dans le Nord, mais aussi des risques d’impacts comme des déversements d’essence ou de pétrole, ou de la pollution chimique et sonore.
Tous ces changements écologiques et sociaux, ou socio-écologiques, ont des implications majeures pour les communautés de l’Arctique qui dépendent et bénéficient des écosystèmes arctiques de plusieurs manières, que ce soit pour la nourriture (pêcheries, chasse, cueillette de plantes et baies), l’eau, ou pour des domaines intangibles comme l’identité et la culture. Ces bénéfices que les humains tirent de la nature sont appelés « services écosystémiques ». L’ensemble des humains bénéficient aussi de l’Arctique, parfois sans s’en rendre compte. Par exemple, le couvert de glace permanent de l’Océan Arctique a un effet refroidissant qui régule le climat planétaire. Sa perte aura donc des répercussions à l’échelle planétaire.
Lien entre les changements écologiques et sociaux
S’adapter, et bâtir la résilience, face aux changements de l’Arctique, requiert d’en comprendre les mécanismes, particulièrement les liens socio-écologiques à travers lesquels des impacts de nature initialement physique ou écologique, ont des répercussions sociales. Or, étudier les dynamiques socio-écologiques n’est pas une tâche simple et nécessite de réconcilier des disciplines qui agissent souvent en vase clos, comme la biologie et l’ethnographie.
C’est le défi que je me suis donné dans le cadre de mon doctorat, où j’étudie comment l’écosystème marin arctique se transforme et les implications, présentes et futures, pour les communautés côtières. Je me concentre sur les services écosystémiques pour faire le lien entre les changements écologiques et sociaux. La région d’étude est le Kitikmeot au Nunavut, où la population est principalement Inuit (à 90%), et en croissance (avec 50% sous 25 ans). Ultimement, je vise à formuler des recommandations pour une gestion durable de cette région marine de l’Arctique canadien en plein changement. Puisque la nature même de ma question de recherche est interdisciplinaire, mon projet combine différentes méthodes et types de savoirs, allant des prélèvements biologiques aux entrevues avec des pêcheurs locaux et des aînés Inuit. Ma recherche s’est déroulée de manière collaborative, de façon à répondre à certaines préoccupations locales et à intégrer les savoirs locaux.
Au début de mon doctorat, c’est à bord de ce navire, le R/V Martin Bergmann, que j’ai débuté les échantillonnages afin d’étudier l’écosystème marin. J’y récoltais du zooplancton, ces microscopiques créatures animales qui, à elles seules, ont une biomasse plus importante que les baleines à l’échelle des océans. L’omble chevalier se nourrit abondamment de zooplancton en été. Ces échantillons de zooplancton me permettent donc d’étudier comment les maillons inférieurs de l’écosystème marin influencent les pêcheries d’omble chevalier.
Mon expérience au doctorat va bien au-delà de la recherche. J’ai créé des liens avec les gens de la place, en prenant le temps, au fil des années, de développer des relations de confiance dans la communauté. Dans cette image, on voit quelques plats traditionnels que j’ai eu la chance de partager avec mes amis, comme du ragoût de caribou, du chili de bœuf musqué, des filets grillés d’omble chevalier, du maktaak (narval frais, au fond à droite) et de la bannock, le pain traditionnel. Cette photo a été prise au repas traditionnel que nous avions organisé lors de l’atelier participatif.
C’est le cœur gros que j’ai quitté Cambridge Bay, ce février 2019, suite à ma dernière visite dans le cadre de mon doctorat. Après quatre ans à travailler étroitement avec la communauté, je réalise avoir vécu tout un cheminement. Étudier l’Arctique en transformation, m’a moi-même transformée. Apprendre à voir ma problématique de recherche à travers les yeux d’habitants de l’Arctique, aux réalités et aux savoirs si différents des miens, m’a permis de saisir des éléments nouveaux. Comme l’importance de raviver la culture Inuit pour mieux protéger l’environnement, les deux étant inextricablement liés, ou l’incroyable résilience des gens, et comment les aînés peuvent aider à comprendre la résilience du passé, afin de mieux guider la résilience future. Je suis extrêmement reconnaissante à la communauté de Cambridge Bay de m’avoir ouvert leurs portes. Merci, Quanaqutin!
Lisez le rapport grand public produit par Marianne Falardeau
Écoutez le film “Hivunikhavut – notre Futur” réalisé par Falardeau, qui explore le futur de la région marine du Kitikmeot en 2050.