En s’intéressant aux centres d’archives communautaires, Gracen Brilmyer veut amplifier la voix et promouvoir les pratiques des communautés traditionnellement marginalisées en soulignant les enjeux propres à ces petits organismes locaux et leur apport unique au domaine de l’archivistique.
L’automne dernier, Gracen Brilmyer, qui enseigne à l’École des sciences de l’information de l’Université McGill, a reçu de la Fondation Mellon une subvention de 520 000 dollars canadiens qui lui permettra de concrétiser ses initiatives d’inclusion.
Une grande partie de cette subvention servira à la création d’un programme de stages dans des centres d’archives communautaires de Montréal à l’intention des étudiants et étudiantes en archivistique de l’Université McGill. De concert avec Axelle Demus, titulaire d’une bourse postdoctorale, Gracen Brilmyer élaborera le programme et mènera des recherches sur les archives communautaires.
L’objectif du programme est de familiariser les étudiants et étudiantes avec les processus d’archivage utilisés au sein de ces organismes, qui peuvent différer grandement des méthodes employées par les grands centres d’archives classiques. En retour, les organismes pourront compter sur l’aide des stagiaires.
L’importance de la représentation
Une grande partie du travail de Gracen Brilmyer consiste à améliorer la représentation en archivistique.
« Pendant ma jeunesse, les personnes queers en situation de handicap – comme moi – étaient rarement représentées. Aujourd’hui, par l’entremise du Disability Archives Lab, j’ai la chance de mettre sur pied des projets avec des personnes handicapées, pour des personnes handicapées. Nous réfléchissons à la façon dont nous souhaitons consigner nos expériences et faire ressortir notre pluralité », explique l’archiviste. La représentation complexe est importante, car « les personnes handicapées ne sont pas un monolithe; chacune possède des identités et des expériences qui lui sont propres ».
« Si elles sont sous-représentées dans les archives, les personnes victimes de multiples formes de marginalisation risquent d’être effacées de l’histoire. Inversement, l’inclusion – dans toutes ses nuances et toute sa complexité – enrichit l’identité collective », poursuit Gracen Brilmyer.
En proposant une approche différente de celle des archives traditionnelles, souvent façonnées par des perspectives dominantes, les archives communautaires parviennent à contrecarrer l’effacement des groupes sous‑représentés. Ces organismes – tels que les Archives gaies du Québec, les South Asian American Digital Archive et la Little Tokyo Historical Society – se consacrent à la préservation de l’histoire et des particularités de leurs communautés respectives.
En offrant à ses étudiants et étudiantes une incursion dans le monde des archives communautaires, Gracen Brilmyer souhaite les aider à comprendre l’importance de la préservation de leur propre histoire communautaire et culturelle.
« L’un des principaux objectifs de ce projet est de permettre aux personnes issues de communautés historiquement marginalisées ou minoritaires d’accéder à des archives relatant des histoires semblables aux leurs », explique l’archiviste.
Le collectif FOCAS
Gracen Brilmyer est membre du collectif Faculty Organizing for Community Archives Support (FOCAS), composé de membres du corps professoral de neuf universités canadiennes et américaines. L’automne dernier, la Fondation Mellon a remis au collectif une somme de 6 150 000 dollars américains destinée au financement de stages rémunérés dans des centres d’archives communautaires; la subvention remise à Gracen Brilmyer provient de ces fonds.
Pendant le programme de trois ans, qui est financé par le Programme de savoir collectif de la Fondation, des étudiants et étudiantes en archivistique seront en poste dans plus de 40 centres d’archives communautaires d’Amérique du Nord. Le projet financera également l’élaboration de cours et la participation d’étudiants et d’étudiantes à des conférences ainsi que leur adhésion à des associations professionnelles; il permettra également de rétribuer directement les centres d’archives communautaires pour leurs services et leur expertise.
L’importance d’une accessibilité véritable
Le programme de stages n’est qu’un des aspects des travaux de recherche de Gracen Brilmyer, qui s’intéresse aussi aux liens entre la notion de handicap et l’archivistique communautaire. En tant que chef du Disability Archives Lab, l’archiviste se penche sur la représentation du handicap dans les archives communautaires, sur l’accessibilité dans les centres d’archives et sur l’utilisation des lieux par les personnes en situation de handicap.
« Mes recherches précédentes m’ont fait prendre conscience que différents types de centres d’archives étaient confrontés à des problèmes d’accessibilité à divers degrés », indique Gracen Brilmyer.
L’archiviste souligne que l’accessibilité va bien au-delà des accommodations de base; en effet, elle implique la prise en compte de la gamme complète des expériences que peut vivre une personne en situation de handicap lorsqu’elle désire consulter des archives.
« L’accessibilité, c’est bien plus qu’une liste de vérification à cocher. Il ne s’agit pas simplement de poser une rampe d’escalier ou d’installer des barres d’appui dans une salle de bain, renchérit l’archiviste. Il faut penser à une accessibilité globale pour toutes les personnes en situation de handicap, neurodivergentes ou atteintes d’une maladie passagère ou chronique et repenser les espaces et les méthodes de recherche en conséquence. »
La place des voix minoritaires en archivistique
Gracen Brilmyer tente de redéfinir les discours dominants en archivistique. Les centres d’archives traditionnels ont souvent priorisé les perspectives de la majorité, tandis que les communautés marginalisées emploient, depuis fort longtemps, leurs propres méthodes de conservation des connaissances, comme la tradition orale ou les écrits.
Ultimement, Gracen Brilmyer s’emploie à repenser l’archivistique sous l’angle de l’inclusion et des méthodes de consignation. Ses travaux contribuent à redéfinir l’avenir de la discipline et à faire en sorte que toutes les histoires, particulièrement celles des communautés marginalisées, trouvent leur place dans la mémoire collective et soient célébrées.