En plein cœur de Lanaudière, au Québec, un terrain de 233 hectares témoigne avec éloquence de la résilience de la nature et de la générosité de Linda Reven.
En 2002, cette professeure de chimie de l’Université McGill faisait l’acquisition d’une étendue de terre ravagée par des activités illégales d’exploitation forestière, située près de Sainte-Émélie-de-l’Énergie. Plus tôt cette année, elle a fait don de cette terre reboisée et revitalisée à une fiducie foncière de la région, la Fiducie de conservation des écosystèmes de Lanaudière (FiCEL).
« Cette immense étendue traversée par la rivière Noire est le don le plus important que nous ayons reçu jusqu’à maintenant, souligne Réjean Dumas (B. Sc. 1981), biologiste et fiduciaire au sein de la FiCEL. C’est un bassin versant important dans la région. Nous souhaitons aménager une aire protégée à proximité de ce terrain, et le don de Linda était essentiel pour la réalisation de notre projet. »
« Une grosse tache brune »
Linda Reven se rappelle avoir vu une photo-satellite de la région. C’était avant qu’elle fasse l’acquisition du terrain.
« On voyait une grosse tache brune entourée de vert », se remémore-t-elle. Les digues de castor avaient été rasées par la machinerie lourde, la coupe à blanc avait presque entièrement décimé la forêt et les étangs avaient été drainés pour l’irrigation d’une plantation de cannabis visible dans un coin de l’image. La majeure partie de cette étendue dévastée était devenue une décharge illégale.
« J’étais obsédée par l’idée de restaurer ce milieu et de le protéger. »
Sur un coup de tête, elle demande le prix du terrain.
« Je n’en croyais pas mes yeux : 70 000 $ pour à peu près 500 acres. Le plus ironique, c’est que c’est précisément à cause de la coupe à blanc que le prix était si bas », lance-t-elle.
Dans Lanaudière comme partout au Québec, il faut repousser constamment les assauts des promoteurs pour protéger les espaces naturels.
« On voit beaucoup plus souvent une forêt transformée en centre commercial qu’une ferme transformée en forêt », résume Réjean Dumas.
Résolue à aller à contre-courant de cette tendance, Linda Reven a acheté le terrain dans le but de l’ensemencer, de le revitaliser et de lui rendre ainsi sa beauté sauvage. Elle l’a donc fait reboiser et, au fil des ans, la faune et la flore y ont repris leurs droits.
« C’est un habitat faunique incroyable », s’exclame Linda Reven, ajoutant que les caméras de sentiers filment régulièrement des orignaux, des pékans, des renards, des martres, des loups et des ours. Et, heureuse nouvelle, les castors – que les bûcherons abattaient pour prévenir la construction de barrages – se sont réapproprié leur milieu de vie, comme en témoignent les étangs qui parsèment le paysage.
« Restaurer des habitats, j’ai fait ça pendant presque toute ma vie, souligne Réjean Dumas. Parfois, la nature arrive à reprendre ses droits, mais ce n’est pas toujours le cas. »
Une terre entre bonnes mains
Évalué récemment à 600 000 $, le terrain pourrait rapporter à sa propriétaire la coquette somme d’un million de dollars si elle le divisait en parcelles, lui a-t-on dit. Mais cette idée ne lui est jamais venue à l’esprit.
« J’ai acheté le terrain, mais sans jamais avoir le sentiment qu’il m’appartenait, explique-t-elle. Je ne pourrais pas envisager d’y faire du développement. Cela dit, après l’avoir restauré, j’ignorais comment m’y prendre pour le protéger. Je me suis donc tournée vers la FiCEL. »
« En achetant la terre, Linda et son mari avaient déjà en tête l’idée de la protéger, et pas forcément à titre de propriétaires, souligne Réjean Dumas. La nature altruiste de leur don en dit long sur ces gens comme êtres humains. »
Ce terrain s’ajoute aujourd’hui au patrimoine, de plus en plus vaste, protégé par la FiCEL. Drôle de coïncidence, l’une des premières parcelles de terre confiées aux bons soins de la FiCEL, en 2017, est un terrain de 138 hectares, don d’un professeur retraité de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université McGill, Larry Conochie, et de sa femme, France Bourdon (B. Sc. 1963, MDCM 1967).
La FiCEL exerce son action protectrice sur trois fronts : surveillance, suivi et sensibilisation, et recherche. Des bénévoles comme Réjean Dumas élaborent un plan de gestion pour chaque secteur, visitent régulièrement les lieux pour s’assurer que personne ne s’y introduit, dressent un inventaire des végétaux et des animaux afin d’obtenir un portrait de la biodiversité et collaborent avec des chercheurs.
Une course contre la montre pour devancer les promoteurs
Rien ne destinait Linda Reven à la sauvegarde du patrimoine naturel du Québec.
« J’ai grandi à Chicago, donc dans un milieu très urbain. Mes contacts avec la nature avaient été pour le moins limités. Mais la pleine nature m’a toujours attirée. »
Linda Reven est arrivée à l’Université McGill en 1993.
« J’aurais pu obtenir plus de fonds de recherche dans une université américaine, mais j’avais très envie de venir à McGill et d’habiter à Montréal, près de la nature. Mon mari et moi faisions beaucoup de camping sauvage et lorsque nous campions ailleurs que dans les parcs provinciaux, j’étais consternée devant l’ampleur des coupes à blanc. »
« Je suis contente de contribuer au rétablissement de la terre, souligne la professeure. Les corridors de déplacement sont importants. Nous nous employons à établir d’autres liaisons d’un bout à l’autre de la vallée pour qu’il y ait un réseau, parce que si on veut devancer les promoteurs, il n’y a pas une minute à perdre. »