Forte de son succès, l’Université McGill lance la deuxième phase de sa stratégie d’ISR  

Sophie Leblanc, cheffe de l’investissement, nous parle des nouvelles mesures d’investissement socialement responsable (ISR), incluant l’abandon de toute participation directe du fonds de dotation dans des entreprises de combustibles fossiles figurant à la liste Carbon Underground 200 (CU200)  

L’empreinte carbone du portefeuille d’actions cotées du Fonds commun de placement de McGill (FCPM) a connu une diminution substantielle de 49 % entre 2019 et 2022, ce qui a amené le Conseil des gouverneurs à approuver la deuxième phase de la stratégie d’investissement socialement responsable (ISR) de l’Université. Les huit nouveaux objectifs de cette stratégie découlent de l’annonce, faite en avril 2023, de l’atteinte des cibles précédentes deux ans plus tôt que prévu. 

Au cours de cette deuxième phase, l’Université McGill s’engage à :  

  • liquider ce qu’il reste des titres de sociétés figurant à la liste Carbon Underground 200 à compter de 2024, pour un abandon complet en 2025;  
  • maintenir les émissions de carbone du portefeuille d’actions cotées et d’obligations de sociétés à un niveau inférieur (de l’ordre de 33 % au minimum) aux émissions générées par les entreprises de l’indice de référence des actions cotées et des valeurs à revenu fixe de l’Université McGill, comme indiqué dans l’Énoncé de politique de placement; 
  • d’ici 2029, consacrer 10 % du FCPM à des stratégies d’investissement durable, en conformité avec les objectifs de développement durable des Nations Unies; 
  • élargir nos perspectives en matière d’investissement en proposant de nouvelles initiatives qui engloberont nos priorités sociales et de gouvernance, tout en poursuivant la lutte contre la crise climatique; 
  • continuer d’offrir aux donateurs et donatrices de l’Université McGill le fonds d’investissement sans énergie fossile, qui est le premier fonds de dotation du genre proposé par une grande université canadienne; 
  • améliorer nos résultats au regard des Principes pour l’investissement responsable des Nations Unies; il s’agit du premier engagement du genre pris par une grande université canadienne;  
  • intégrer un système de notation des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) de même que des paramètres d’évaluation du risque aux processus de surveillance des gestionnaires de fonds; et 
  • continuer à rendre compte chaque année des progrès réalisés. 

Sophie Leblanc, cheffe de l’investissement à l’Université McGill, s’est entretenue avec le McGill Reporter du courant de pensée qui sous-tend l’approche de l’Université ainsi que de l’importance de se fixer des objectifs ambitieux – et de les atteindre. 

Q : L’Université McGill a obtenu d’excellents résultats en matière de décarbonation sans pour autant recourir au désinvestissement. Pourquoi décider maintenant d’abandonner toute participation directe dans des entreprises figurant à la liste CU200? 

R : Jusqu’à maintenant, la stratégie de décarbonation du Fonds commun de placement de McGill (FCPM) visait essentiellement à écarter les grands consommateurs d’énergies fossiles, dont les producteurs d’acier et de ciment. En seulement trois ans, nous avons ainsi pu éliminer quelque 73 000 tonnes d’émissions de carbone par année du FCPM, ce qui équivaut au retrait de plus de 14 000 véhicules à essence des routes annuellement. 

Pour ce qui est des grands producteurs d’énergie, nous visons plutôt à faire appel à leur collaboration, par l’intermédiaire d’une tierce partie spécialisée dans l’engagement actionnarial, afin qu’ils renoncent à exploiter de nouveaux gisements, par exemple. En tant qu’actionnaire, vous pouvez utiliser votre vote pour exprimer votre volonté de changement. Lorsque vous cédez vos actions, vous n’avez plus voix au chapitre. 

Par conséquent, quand nous avons adopté notre plan initial en 2020, nous avons choisi de continuer d’investir dans les grandes sociétés pétrolières et gazières, plutôt que de leur tourner le dos tout simplement, et d’améliorer le bilan carbone de notre portefeuille d’abord et avant tout en diminuant notre participation dans les entreprises qui consomment des énergies fossiles en grande quantité.  

Après des années de décarbonation, notre participation directe dans les 200 plus grandes sociétés pétrolières et gazières (qui composent la liste Carbon Underground 200 ou CU200) s’élevait à peine à 1% du FCPM en date de le 31 décembre 2022, si bien que le désinvestissement allait de soi*. En vendant le peu qu’il reste de ces actifs, nous envoyons un message symbolique, mais important, à la communauté mcgilloise, à savoir que notre avenir doit se construire sur des énergies propres et des technologies durables.  

Q : L’Université McGill a donc décidé d’emprunter une nouvelle voie?  

R : Pas exactement, puisque nous allons continuer de décarboner notre portefeuille, mais nous aurons plus d’une corde à notre arc dans le cadre de notre stratégie globale d’investissement socialement responsable.  

Q : Pourquoi l’Université McGill a-t-elle choisi d’abandonner seulement sa participation directe dans des sociétés figurant à la liste CU200, et non pas aussi sa participation indirecte?  

R : En décembre 2022, nous avons établi que la participation indirecte du FCPM dans des sociétés figurant à la liste CU200 était d’environ 0,7 %*. Ce type de participation est avantageuse pour l’Université puisqu’elle lui permet de cotiser à peu de frais à des fonds communs de placement et, par ricochet, d’avoir accès notamment à des marchés en émergence, dans lesquels il serait autrement difficile et coûteux d’investir. La diversification optimale du portefeuille s’en trouve ainsi facilitée. Cependant, ces investissements indirects contribuent à alimenter d’importants fonds de placement gérés au nom de peut-être 1 000 clients, dont bon nombre ne partagent pas nos ambitions. Pour nous départir complètement de ces titres qui, rappelons-le, ne composent plus que 0,7 %* du FCPM, il faudrait vendre environ 33 % de celui-ci, ce qui tranche avec les recommandations que reçoit habituellement un gestionnaire à l’emploi exclusif de l’Université. Une telle démarche serait inefficace et onéreuse. 

Q : Comment arrivez-vous à concilier les questions d’ISR et l’obligation de générer des rendements? C’est l’art du compromis? 

R : L’abandon de notre participation directe dans des sociétés figurant à la liste CU200, lesquelles ne représentent plus qu’un mince pourcentage de nos actifs, ne devrait pas avoir de répercussions à long terme sur le rendement du FCPM.  

En parallèle, nous ferons passer de 5 % à 10 % nos investissements dans des fonds durables, ce qui devrait accroître nos rendements. Ces investissements s’inscrivent en marge des objectifs de développement durable des Nations Unies, qui ont pour thèmes non seulement la lutte contre les changements climatiques, mais aussi le soulagement de la pauvreté et l’avancement de la durabilité. Ces fonds gagnent en popularité auprès des investisseurs qui souhaitent s’attaquer aux enjeux mondiaux. À mon avis, investir 5 % de plus dans ces fonds ne peut qu’avoir des retombées positives sur notre portefeuille.  

Q : Si ce secteur s’annonce fort prometteur, pourquoi ne pas y consacrer une part plus importante du FCPM? 

R : La diversification du portefeuille demeure un élément important à considérer pour atténuer le risque. Nous cherchons donc l’équilibre – augmenter la proportion d’investissements durables dans le fonds de dotation tout en veillant à générer les rendements annuels nécessaires au financement de la recherche, de l’aide aux étudiant(e)s, des stages et d’autres priorités.  

Q : L’Université a collaboré avec SHARE, organisme qui soutient le développement durable des entreprises avec l’appui d’investisseurs. En quoi les nouveaux objectifs vont-ils modifier cette collaboration?  

R : Cette deuxième phase de notre stratégie d’ISR nous permettra de resserrer nos liens avec SHARE. Au cours de la première phase, notre collaboration était essentiellement axée sur l’aspect environnemental. Dorénavant, elle s’étendra aussi au volet social et à la gouvernance dans le contexte des préoccupations soulevées par l’environnement, la responsabilité sociale et la gouvernance (ESG). 

Q : Que sont les Principes pour l’investissement responsable (PRI) des Nations Unies et que devrons-nous faire pour améliorer nos résultats, au regard de ces principes? 

R : Ces principes sont au nombre de six. En gros, les investisseurs qui y adhèrent doivent tenir compte des critères ESG dans leurs décisions et leur plaidoyer, et faire état de leurs activités et de leurs progrès à cet égard. Nous comptons parmi les signataires des PRI depuis 2022, et nous allons recevoir nos premiers résultats cette année, avec l’intention de les améliorer dans un avenir rapproché en accentuant nos pratiques en matière d’ISR. C’est d’ailleurs un de nos plus récents objectifs.  

En somme, si vous ne vous engagez pas à améliorer vos résultats par des mesures concrètes, il ne sert à rien de devenir signataire des PRI. Cela dit, si les autres universités sont sensibles à notre transparence et à même de constater nos progrès en matière d’investissement responsable, une réaction en chaîne porteuse de changement pourrait s’opérer.  

Q : Comment l’Université McGill se compare-t-elle à ses homologues canadiennes en matière d’ISR? 

R : Chaque année, nous discutons avec d’autres universités qui collaborent aussi avec SHARE. Au cours de ces rencontres, qui réunissent de 12 à 15 personnes environ chacune, nous parlons de stratégies et de pratiques exemplaires. Nous nous sommes d’ailleurs inspirés des pratiques exemplaires de nos homologues pour mettre au point notre propre stratégie. Sans donner de noms, je dirais que notre leadership nous place dans le premier quartile dans ce domaine.  

Plusieurs universités se sont engagées à désinvestir, mais ne sont pas encore allées de l’avant. Il faut dire que bon nombre d’entre elles s’étaient accordé un délai de 10 ans qui arrivera à échéance en 2030. En fin de compte, nous ne savons pas si elles respecteront leur engagement.  

Notre stratégie est ambitieuse et nous tient à cœur. Nous tâcherons de faire preuve de diligence, comme pour la première phase, ce qui nous a permis d’atteindre nos cibles deux ans plus tôt que prévu. 

Q : Parmi les huit objectifs de la stratégie, y en a-t-il un selon vous qui, contre toute attente, pourrait avoir une incidence concrète majeure? 

R : À mon avis, de tous les engagements que nous avons pris, le plus important est de porter à 10 % du FCPM nos investissements dans des fonds durables. Des étudiants avaient demandé que les profits de la vente de nos actifs dans des sociétés figurant à la liste CU200 soient réinvestis dans des fonds durables, sauf que dans les faits, la stratégie que nous avons adoptée nous permettra d’investir beaucoup plus. Le désinvestissement compte, certes, mais j’espère que ce n’est pas le seul élément que les gens vont retenir, parce qu’il revêt un caractère plutôt symbolique, étant donné que notre participation directe dans des sociétés figurant à la liste CU200 ne représente qu’une infime portion du Fonds commun de placement de l’Université.  

Q : Y aura-t-il une troisième phase? 

R : Nous avons déjà prévu de revoir la stratégie dans cinq ans. À ce moment, une mise à jour sera soumise au Comité du développement durable et de la responsabilité sociale, qui relève du Conseil des gouverneurs. Les nouvelles recommandations refléteront l’évolution des pratiques en matière d’investissement durable et seront conformes aux plus récentes pratiques exemplaires dans le domaine. Dans l’intervalle, notre équipe conseille le Comité en amont sur les stratégies à adopter dans une perspective d’amélioration continue, une priorité pour nous. Nous suivons de près les tendances en ce qui a trait aux pratiques exemplaires et examinons non seulement les fonds de dotation, mais aussi les stratégies des régimes de retraite et des chefs de file de l’industrie dans le but d’élargir nos horizons. Notre engagement à nous améliorer nous pousse à mieux définir les facteurs à considérer et à accroître la portée de nos initiatives. 

* Au moment où cette information a été publiée à l’origine, notre analyse indiquait que la participation directe du Fonds commun de placement de McGill dans des sociétés figurant à la liste CarbonUnderground 200 (CU200) était de 0,5 %, et la participation indirecte, de 0,4 %, au 31 décembre 2022. Or, il appert qu’à cette date, ces pourcentages s’établissaient plutôt à 1 % et à 0,7 %, respectivement, d’après les conclusions d’un examen détaillé effectué en janvier 2024. 
 
L’Université McGill trouve déplorable cette erreur et a pris des mesures correctives pour éviter qu’une telle situation se reproduise. D’ici à ce qu’elle confie à une entreprise externe la vérification des titres qu’elle détient dans des sociétés figurant à la liste CU200, l’Université veillera à ce que tous les calculs fassent l’objet, à l’interne, de deux évaluations rigoureuses par des pairs. L’Université McGill continue de souscrire pleinement à ses objectifs dinvestissement socialement responsable, dont celui de se départir de toute participation directe dans des sociétés figurant à la listeCU200 d’ici 2025. 

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