BigBrain : l’avenir des neurosciences

Des scientifiques s’emploient à perfectionner l’atlas 3D du cerveau qu’ils ont présenté il y a dix ans
Alan Evans et l’équipe du laboratoire HIBALL s’emploient à perfectionner l’atlas BigBrain, qui jette un précieux éclairage sur la structure et la fonction cérébrales.

Dix ans après avoir révolutionné le monde des neurosciences en publiant un article dans la revue Science en 2013 annonçant la création de l’atlas BigBrain, Alan Evans et Katrin Amunts préparent une version perfectionnée de leur modèle initial.

Atlas numérique 3D à haute résolution en libre accès du cerveau humain, BigBrain figure au palmarès des dix plus grandes percées de 2014 de la revue Technology Review, du MIT (Institut de technologie du Massachusetts). Il est le fruit d’une collaboration entre des scientifiques et leurs équipes respectives du Neuro (Institut-Hôpital neurologique de Montréal) et du Centre de recherche de Juliers (Forschungszentrum Jülich), en Allemagne.

La version actuelle de l’atlas BigBrain a été produite à partir du cerveau d’un homme de 65 ans décédé, qui ne souffrait d’aucune maladie neurologique ou psychiatrique. Ce cerveau a été méticuleusement tranché en 7 404 sections, d’une épaisseur de 20 microns chacune, soit moins du tiers de la largeur d’un cheveu humain. Pour créer un atlas cérébral 3D détaillé et interactif, il a fallu analyser par balayage, colorer, et corriger manuellement chaque section avant de la numériser. Ce processus s’est étalé sur une période d’environ dix ans.

À la confluence des neurosciences et de l’intelligence artificielle

Inspiré du projet BigBrain, le laboratoire HIBALL (Helmholtz International BigBrain Analytics & Learning Laboratory) a été fondé en 2020 grâce au programme mcgillois Un cerveau sain pour une vie saine (CSVS) et à l’Association des centres de recherche allemands Helmholtz. Alan Evans et Katrin Amunts y agissent à titre de cochercheurs principaux.

« Grâce à son réseau, qui regroupe des sommités mondiales, le laboratoire HIBALL peut compter sur une expertise exceptionnelle », se félicite Alan Evans, qui souligne la force de l’Université McGill en analyse computationnelle et en modélisation, ainsi que le savoir-faire du Centre de recherche de Juliers en acquisition de données et en neuroanatomie.

Lieu de collaboration internationale entre chercheuses, chercheurs et stagiaires, le laboratoire HIBALL se spécialise en recherche sur la convergence entre les neurosciences et l’intelligence artificielle (IA), dans une optique d’amélioration de l’atlas BigBrain de 2013. À terme, ce dernier pourrait produire des modèles 3D du cerveau très détaillés à l’aide de sections d’à peine un micron d’épaisseur, soit un millième de millimètre.

« En ce moment, le BigBrain est équivalent en taille à 125 000 IRM. S’il est réalisé, notre objectif à long terme d’affiner la résolution jusqu’à un micron nous permettrait de créer un ensemble de données 8 000 fois plus important que celui du BigBrain tel qu’on le connaît aujourd’hui, poursuit le chercheur mcgillois. On pourrait alors étudier l’architecture cellulaire microscopique de l’ensemble du cerveau. Voilà une cible ambitieuse, qu’on ne pourra atteindre avant quelques années. »

Pour mieux comprendre la fonction cérébrale

Pour relever ce défi mécanique et informatique, l’équipe de HIBALL tente de mettre au point de nouveaux outils d’apprentissage automatique pour la reconnaissance et l’analyse de formes, grâce auxquels on pourra mieux comprendre la fonction et la perception cérébrales, et créer des systèmes d’IA inspirés du cerveau. Avant d’avoir accès aux technologies actuelles, les neuroscientifiques devaient se servir de microscopes et de méthodes manuelles complexes, et désuètes, pour étudier les détails des couches du cerveau.

« À titre d’exemple, l’étudiant Konrad Wagstyl, avec ses collègues, a utilisé des stratégies d’apprentissage automatique pour tracer la structure interne du cortex, composée de six couches, à l’aide de l’ensemble de données de BigBrain, et ce, de façon entièrement automatisée et sur tout le cerveau, raconte le Pr Evans. D’autres scientifiques peuvent désormais utiliser ces informations afin de simuler la fonction des réseaux cérébraux à l’aide de modèles mathématiques. C’est un travail important sur lequel reposent plusieurs approches modernes permettant de comprendre le fonctionnement neuroanatomique du cerveau. »

Au-delà de ses fonctions théoriques, l’atlas BigBrain peut aussi servir de modèle pour mieux guider les neurochirurgies : « Le chirurgien peut superposer l’atlas BigBrain sur des images du cerveau du patient afin de mieux placer les électrodes qui peuvent atténuer les symptômes de la maladie de Parkinson. Il s’agit d’une application neurochirurgicale très concrète ».

Vers une démocratisation des neurosciences

Ardent défenseur de la science ouverte, Alan Evans estime que le rôle de BigBrain comme ressource accessible à tous est d’une immense valeur.

« Depuis que l’ensemble de données de BigBrain a été publié, plus de 25 000 chercheurs et chercheuses à l’échelle de la planète l’ont téléchargé pour leurs propres recherches, explique-t-il. BigBrain est plus qu’un atlas du cerveau : il comporte des outils pour le traitement des données à distance, des séances ouvertes, des ateliers et des services en ligne. »

À l’heure actuelle, les progrès scientifiques réalisés dans le cadre de ce projet sont diffusés dans une centaine de publications et dans près de 90 ensembles de données, ce qui contribue à une meilleure compréhension de l’organisation du cerveau.

« BigBrain est un excellent exemple de démocratisation des neurosciences. On a de plus en plus d’infrastructures et d’outils permettant aux scientifiques de pays à revenus faibles et intermédiaires d’accéder à distance aux données de BigBrain et d’en faire le traitement, plutôt que d’envoyer leurs propres données quelque part pour les faire analyser », souligne le Pr Evans.

Le chercheur s’est avoué fier de la notoriété de Montréal en neurosciences, que l’on doit, selon lui, au Dr Wilder Penfield, l’un des plus grands neurochirurgiens canadiens, également fondateur et premier directeur du Neuro.

« C’est une chance inouïe de pouvoir offrir au monde entier un accès à nos données depuis Montréal, plaque tournante des neurosciences, se réjouit-il. L’Université McGill et le Neuro font figure de pionniers à l’échelle mondiale. Je souhaite qu’un plus grand nombre de Canadiens et de Canadiennes puissent constater le rôle déterminant de nos propres établissements, ici même. »