
Louis‑Philippe Bateman a commencé à se passionner pour le mégalodon à l’adolescence, après avoir lu un passage d’un ouvrage sur l’évolution géologique du Canada, qui relatait la découverte, dans les années 1960, de mystérieuses dents géantes de requin à l’état de fossile par des pêcheurs qui draguaient des pétoncles sur la côte atlantique canadienne. La curiosité qu’il avait éprouvée à l’époque et son intérêt naissant pour la paléontologie sont remontés à la surface de façon concrète quand il a entrepris ses études de premier cycle à l’Université McGill.
Sous le mentorat de Hans Larsson, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en paléontologie des vertébrés et professeur au Musée Redpath, Louis‑Philippe Bateman s’est plongé dans l’étude des dents découvertes à l’état de fossile des décennies plus tôt, lesquelles n’avaient jamais fait l’objet d’une identification ou d’études formelles.

« J’étais au secondaire quand j’ai lu ce passage sur les dents de requin, et ça m’est toujours resté », confie l’étudiant actuellement inscrit aux cycles supérieurs au Département de biologie. « Au début de notre collaboration, un autre projet nous a amenés, Hans Larsson et moi, à nous rendre au Musée canadien de la nature à Ottawa. Comme les fossiles y sont conservés, j’en ai profité pour demander à y jeter un coup d’œil. C’est là que tout a commencé. »
Il s’est avéré que les dents fossilisées appartenaient à Otodus megalodon, la plus grande espèce de requin ayant jamais existé. Cette découverte confirmait pour la première fois la présence passée du mégalodon dans les eaux canadiennes.
L’identification de ces fossiles relevait à la fois du travail de détective et de la rigueur scientifique. Certains spécimens, dont ceux conservés à Ottawa, faisaient partie de collections muséales, alors que d’autres figuraient uniquement dans des documents historiques (journaux de pêcheurs ou photographies) transmis par des conservateurs de musée. D’autres encore étaient la propriété de collectionneurs privés, dont certains étaient hésitants à donner accès à leurs trésors nautiques.
Malgré les difficultés, Louis‑Philippe a pu déterminer à quelle espèce avaient appartenu ces dents en en analysant soigneusement les caractéristiques différentielles, notamment leur forme triangulaire et leur taille imposante.
« Les dents de mégalodon sont assez facilement reconnaissables. Vous pouvez les associer à l’espèce sans crainte de vous tromper dès lors que vous relevez un ou plusieurs attributs spécifiques », souligne-t-il.
Dans le cadre de leur étude, Louis‑Philippe Bateman et Hans Larsson se sont également intéressés à l’influence du climat ancien sur le lieu de découverte de l’espèce. Ils ont accédé à une base de données mondiale recensant la localisation de fossiles de mégalodon et en ont extrait les données de température pour cartographier l’habitat du requin. Selon leurs observations, la température a contribué dans une large mesure à limiter les aires de vie du mégalodon, ce qui cadre avec les connaissances scientifiques sur la physiologie de ce prédateur mésotherme (à mi-chemin entre les ectothermes à sang froid et les endothermes à sang chaud).
« Un potentiel de découverte énorme »
Bien que Louis‑Philippe Bateman se soit concentré sur l’identification et la contextualisation de ces fossiles, l’incidence de son travail va au-delà de la préhistoire.
« Le mégalodon est vraisemblablement le plus grand prédateur marin à avoir jamais existé, soutient l’étudiant. Plus nous en saurons sur sa physiologie et son aire de distribution, plus nous serons à même de comprendre son rôle dans les anciens écosystèmes et de donner une orientation précise aux prochaines études sur la biodiversité marine et la dynamique prédateur‑proie. »
L’étude soulève par ailleurs un problème majeur en paléontologie, celui des données sombres des collections muséales.
« Quelque 90 pour cent des fossiles collectionnés n’ont encore fait l’objet d’aucune description, affirme-t-il. L’est du Canada en particulier offre un potentiel d’exploration et de découverte énorme, comparativement à des régions comme l’Alberta. »
Louis‑Philippe Bateman reconnaît que le mentorat de Hans Larsson a largement aidé à l’outiller et à lui ouvrir des horizons pour aller au bout de sa passion.
« Hans m’a encouragé à poser des questions et à creuser, admet l’étudiant. Grâce à lui, j’ai pu transposer en une publication ce sentiment de curiosité qui m’habitait au secondaire. »
L’article The first Otodus megalodon remains from Canada and their predicted range limit, par Louis‑Philippe Bateman et Hans C. E. Larsson, a été publié dans le Canadian Journal of Earth Sciences le 29 novembre 2024.