L’intelligence artificielle dans l’étable

McGill et l’UQAM testent, dans des fermes laitières du Québec, des technologies d’IA pensées pour le mieux-être des animaux et la rentabilité
La grande ambition de la nouvelle chaire WELL-E est de mettre à contribution la télédétection par caméras et capteurs, les mégadonnées et l’intelligence artificielle.

Imaginez des vaches qui se promènent librement dans une étable bardée de caméras et de capteurs reliés à un système d’intelligence artificielle qui prédira leur humeur et leur longévité. Telle est la mission de la nouvelle Chaire de recherche-innovation en bien-être animal et intelligence artificielle (WELL-E), créée conjointement par l’Université McGill et l’UQAM grâce à un financement de 5 millions de dollars sur cinq ans.

« C’est un laboratoire vivant numérique qui travaillera avec les producteurs pour leur donner de nouveaux outils », dit Elsa Vasseur, professeure agrégée au Département des sciences animales de l’Université McGill et cotitulaire de la Chaire, qui mettra à contribution plusieurs autres partenaires québécois, dont les Producteurs de lait du Québec (PLQ), le centre d’expertise Lactanet et le consortium des producteurs et transformateurs de lait du Québec Novalait, qui fourniront un appui technique et financier.

Des vaches heureuses et en santé, gage de rentabilité

Elsa Vasseur est professeure agrégée au Département des sciences animales de l’Université McGill et cotitulaire de la Chaire de recherche-innovation en bien-être animal et intelligence artificielle (WELL-E). Alex Tran

Une vache met deux ans à arriver à maturité avant de pouvoir produire son lait – en moyenne trois ans au Canada –, ce qui laisse très peu de temps pour rentabiliser un élevage. La Chaire WELL-E vise à simplifier la vie des éleveurs non seulement en améliorant la longévité du cheptel, mais également en les aidant à repérer les bêtes les moins sujettes aux maladies et aux blessures.

« Les producteurs ont besoin que la vache soit productive, mais aussi qu’elle produise le plus longtemps possible, heureuse et en santé. Les trois sont liés », dit la spécialiste du bien-être animal, dont les précédents travaux ont fortement influencé la refonte du code de pratique de l’industrie laitière canadienne en 2023. Dans ce dernier, on recommande désormais d’augmenter la mobilité, c’est-à-dire de laisser les bestiaux se mouvoir librement dans des aires aménagées dans l’étable ou dans des aires d’exercice à l’extérieur.

La grande ambition de cette nouvelle chaire est de mettre à contribution la télédétection par caméras et capteurs, les mégadonnées et l’intelligence artificielle. L’approche est unique en son genre, car elle combine l’expertise d’Elsa Vasseur en comportement et en mesures du bien-être animal avec celle d’Abdoulaye Baniré Diallo, cotitulaire, professeur au Département d’informatique de l’UQAM et spécialiste des nouvelles technologies en intelligence artificielle.

Des spécialistes interdisciplinaires en devenir

Tout le projet consiste à structurer la collecte de données dans l’étable, puis leur stockage, leur transfert, leur analyse et leur présentation, de sorte qu’elles soient utiles aux éleveurs. « L’idée est de détecter les indices précoces d’ennuis de santé physique et mentale non visibles à l’œil nu, mais qui nuisent au bien-être et à la longévité des bovins, et d’aider les éleveurs à anticiper les éventuels problèmes. »

Ce projet d’envergure mettra à contribution une cinquantaine de jeunes chercheurs et chercheuses de McGill et de l’UQAM issus de tous les cycles universitaires. « Nous faisons découvrir la réalité de l’élevage à de futurs informaticiens, et nos étudiants et étudiantes en sciences animales explorent la gestion des données et l’agriculture numérique. En fait, nous formons la prochaine génération de spécialistes interdisciplinaires. »

Cette chaire marquera une autre première. Outre la contribution des Producteurs laitiers du Canada et de Lactanet, réseau pancanadien de contrôle laitier et d’expertise en production laitière, WELL-E reçoit également le soutien des Dairy Farmers of Ontario. « Les producteurs ontariens n’avaient jamais investi dans une initiative québécoise de cette ampleur, dit Elsa Vasseur. Notre positionnement est national et international; il n’y a pas beaucoup de projets de recherche qui vont aussi loin. »

L’expertise laitière, un savoir-faire de longue date à McGill

La Chaire WELL-E combine l’expertise d’Elsa Vasseur en comportement et en mesures du bien-être animal avec celle d’Abdoulaye Baniré Diallo, cotitulaire, professeur au Département d’informatique de l’UQAM et spécialiste des nouvelles technologies en intelligence artificielle. Louis-Charles Dumais

L’Université McGill a toujours beaucoup œuvré à l’amélioration des pratiques et des rendements de l’industrie laitière québécoise. Son campus Macdonald, à Sainte-Anne-de-Bellevue, exploite la dernière ferme laitière sur l’île de Montréal, plusieurs fois récompensée aux prix d’excellence laitière. Depuis 1907, on y réalise les recherches les plus diverses, tant sur les fourrages et la nutrition que sur la biosécurité de la volaille et le génie rural.

L’un de ses chercheurs, le professeur John E. Moxley, s’est illustré dans la modernisation de l’industrie laitière québécoise. En 1966, il a mis sur pied un service d’analyse des troupeaux laitiers, qui produisait des rapports détaillés sur le rendement des vaches à partir de données recueillies à la ferme et de l’analyse du lait. Un succès retentissant, qui évoluera d’abord vers le Programme d’analyse des troupeaux laitiers du Québec avant de se métamorphoser en un centre d’expertise en production laitière appelé Valacta, qui compte plusieurs centaines d’employés partout au Québec et dans les provinces atlantiques, notamment à son siège social, situé à Sainte-Anne-de-Bellevue.

Valacta est aujourd’hui l’un des trois partenaires fondateurs du réseau pancanadien Lactanet, qui alimentera la Chaire WELL-E en données. « Valacta existe toujours, même si nous avons pris la marque Lactanet », assure Elsa Vasseur, qui siège au conseil d’administration de Valacta à titre de représentante de l’Université McGill. « Valacta dispose de son propre financement et agit comme centre d’expertise laitière pour tout le Canada. »

Des producteurs de la Montérégie seront mobilisés l’an prochain

La Chaire WELL-E n’a pas fini de recruter des joueurs du Québec et d’ailleurs. Jusqu’à présent, seule la ferme laitière du campus Macdonald avait été mise à contribution, mais la Chaire étendra ses travaux dans une seconde étable en Ontario d’ici quelques mois. Puis, en 2025, elle mettra à contribution le réseau du campus de l’Université de Montréal à Saint-Hyacinthe, mobilisant ainsi une centaine de producteurs de la Montérégie.

« Il faut faire participer les fermes commerciales dès que possible, parce que nous existons pour assurer un transfert rapide des connaissances entre l’université et le milieu. C’est notre vocation. »