Cap vers de nouveaux horizons : Avancées dans le traitement de la douleur chronique

De gauche à droite : Ariel Ase, PhD, associé de recherche (co-inventeur IP), Philippe Séguéla, PhD, professeur titulaire au département de neurologie et de neurochirurgie de McGill (chef de projet) et Jonas Friard, PhD, chercheur postdoctoral.Emilie Hackett

La douleur chronique touche une personne sur cinq, mais les options thérapeutiques efficaces sont rares. Trop souvent, les patients souffrant de douleurs chroniques doivent choisir entre les opioïdes, les anticonvulsivants pour la douleur neuropathique et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) tels que l’ibuprofène et le naproxène, qui comportent tous leurs propres effets secondaires néfastes.

Les prescriptions d’opioïdes au Canada ont augmenté de manière fulgurante au cours des dernières années, dépassant les 20 millions d’ordonnances rédigées annuellement. Longtemps réputés pour leurs risques de dépendance et leurs conséquences graves comme l’abus et les surdoses, les opioïdes sont surprescrits, nocifs et souvent inadéquats pour bien cibler et traiter la douleur. Par ailleurs, l’accès aux AINS en vente libre complique les efforts visant à atténuer les interactions potentielles avec d’autres médicaments, ce qui s’ajoute à leurs effets négatifs sur les systèmes gastro-intestinal et cardiovasculaire. Les anticonvulsivants, tels que la gabapentine, qui sont utilisés pour traiter les douleurs liées aux lésions nerveuses, sont eux aussi accompagnés de nombreux effets secondaires, tels que l’anxiété, les étourdissements, les éruptions cutanées, les convulsions et la somnolence.

« C’est l’arsenal limité dont nous disposons présentement et il n’est tout simplement pas suffisant. Les cliniciens et les patients n’en sont pas satisfaits », déclare Philippe Séguéla, Ph.D., spécialiste de la douleur et professeur de neurosciences à l’Université McGill. Le laboratoire du professeur Séguéla, situé au Neuro (Institut-Hôpital neurologique de Montréal), étudie les récepteurs de la douleur depuis près de trois décennies dans l’espoir de trouver une solution alternative plus sûre et sans opiacés pour soulager la douleur. Son équipe s’est consacrée à approfondir la compréhension de la neurobiologie de la douleur, en étudiant les gènes de récepteurs, les cellules et les circuits liés à la perception de la douleur et à l’analgésie, c’est-à-dire la suppression de la douleur.

Ils ont pu identifier une classe de récepteurs neuronaux – les canaux ioniques détecteurs d’acidité (ASIC) – comme des cibles prometteuses pour le soulagement de la douleur. Leurs résultats suggèrent que le blocage des ASIC périphériques pourraient constituer une alternative efficace aux médicaments opioïdes addictifs pour le traitement de la douleur.

Ayant auparavant collaboré avec les secteurs pharmaceutique et biotechnologique, le professeur Séguéla a souhaité mettre son expertise au service des patients souffrant de douleurs chroniques. Il admet qu’il était enthousiaste à l’idée d’explorer le potentiel translationnel et thérapeutique des ASIC plutôt que de se limiter uniquement à la recherche fondamentale sur leur biologie. « Tout le monde connaît quelqu’un qui souffre de douleurs chroniques et connaît ce sentiment d’impuissance », explique-t-il. « Nous avons besoin de progrès qualitatif dans la manière dont nous abordons le traitement de la douleur et l’analgésie. Nous ne devrions pas craindre l’échec, car quel que soit le résultat, la science fondamentale et translationnelle aura néanmoins avancé. »

Avec le soutien de NeuroSphere, le professeur Séguéla a obtenu un financement initial d’adMare Bioinnovationset d’AmorChem en 2020 pour le développement préclinique de cette nouvelle thérapie et la création de Neurasic Therapeutics, une entreprise de biotechnologie. « NeuroSphere a joué un rôle essentiel dans la création de Neurasic Therapeutics. Leur équipe était enthousiaste et nous a poussés à aller de l’avant », se souvient le professeur Séguéla. « Ils sont venus à toutes nos rencontres de pitchs et nous ont apporté leur soutien et leurs conseils professionnels. Ils nous ont beaucoup aidés à peaufiner notre message. »

En 2022, Neurasic Therapeutics a reçu encore plus de financement de la part de HBHL, du CQDM et de la Fondation Louise et Alan Edwards par le biais du programme de neuro-partenariat de NeuroSphere. Ayant déposé trois brevets cette année, Neurasic Therapeutics se rapproche des essais cliniques de phase I. Si ces tests sont concluants, ces bloqueurs d’ASIC pourraient offrir une solution révolutionnaire sans opioïdes pour le traitement de la douleur aiguë et chronique.

Pour l’instant, l’optimisme est de mise. « En termes de puissance et d’efficacité in vivo, le médicament est déjà un succès. Avant même les tests sur les humains, nous avons pu confirmer l’absence d’effets secondaires gastro-intestinaux », explique le professeur Séguéla. « Cela ouvre potentiellement une voie clinique intéressante, car notre médicament pourrait être utilisé en parallèle des AINS, réduisant ainsi l’incidence et la gravité de leurs effets secondaires. »

Par un rythme et une approche axée sur les objectifs, les laboratoires canadiens cherchant à s’aventurer en biotech et pharmacologie peuvent y gagner du côté scientifique. Avec le recul, le professeur Séguéla dresse un bilan positif de son expérience dans le domaine de la biotechnologie. « J’aime l’exigence des jalons, des objectifs concrets et des délais précis », affirme-t-il. « Il y a peut-être moins de liberté et plus de pression qu’en milieu universitaire, mais c’est très motivant et stimulant de tenter d’atteindre des objectifs tangibles pour bénéfice des patients. »

Encourageant les chercheurs à prendre des risques, le professeur Séguéla met l’accent sur le potentiel de transformation de leur travail : « La commercialisation est une expérience très positive pour les scientifiques qui sont prêts à se lancer. Nous n’avons rien à perdre », déclare-t-il. « Même si l’entreprise ne débouche pas sur la mise en marché d’un médicament, l’optimisation de la sélectivité et de la puissance de ces molécules permettra tout au moins de créer des outils scientifiques de grande valeur. »

Au-delà du potentiel de sa découverte, le fondateur de Neurasic Therapeutics est optimiste quant aux nouvelles possibilités de traitement analgésique. « Notre aventure n’est qu’une infime partie d’une histoire bien plus vaste », révèle-t-il. « Il y a présentement des essais cliniques très intéressants menés dans le monde pour tester de nouvelles cibles de la douleur. Il y a des avancées très prometteuses dans le domaine, toutes issues des progrès récents de la biologie. Il y a de l’espoir pour les patients souffrant de douleur chronique, aujourd’hui plus que jamais. »