
Dans une rue calme de Montréal-Ouest sied une maison devant laquelle Robert Drummond ne passe jamais sans faire un petit signe de la tête. Cette résidence était autrefois celle de Lloyd Higginson, l’un des 47 jeunes hommes du quartier qui ont perdu la vie pendant la Seconde Guerre mondiale.
« Après son départ, sa sœur lui a écrit une lettre dans laquelle elle lui disait à quel point elle était impatiente de l’accueillir de nouveau à la maison, sur le même perron où elle lui avait dit au revoir », raconte l’auteur. « Mais il était déjà mort lorsque la lettre est arrivée. Elle a été renvoyée à l’expéditrice, sans même avoir été décachetée. Ce sont des histoires qui restent gravées dans votre mémoire… »
Ce type de perte – personnelle, contextuelle et déchirante – est au cœur de One Town in a Very Long War, le nouveau livre de Robert Drummond, qui retrace la vie des soldats de Montréal-Ouest tombés au combat pendant le second plus grand conflit que le monde a connu. Ce qui avait commencé comme un modeste projet consistant à accrocher des affiches commémoratives le long de l’avenue Westminster s’est transformé en un hommage de 300 pages d’une grande puissance émotionnelle, fruit d’une recherche approfondie.
« Ces hommes faisaient partie intégrante de la communauté », explique l’auteur. « Ils fréquentaient les mêmes écoles et les mêmes églises, jouaient dans les mêmes équipes de hockey, faisaient partie des scouts et marchaient dans les mêmes rues. Leur mort n’était pas seulement une perte pour leur famille, mais aussi pour leur communauté. »
Montréal-Ouest, qui comptait seulement 3 500 habitants pendant la guerre, a vu 546 de ses résidents s’enrôler, soit l’un des taux par habitant les plus élevés du Commonwealth, selon Robert Drummond.
« Une rue a perdu cinq garçons en deux ans », souligne-t-il. « Il n’y a pas un seul pâté de maisons dans ce quartier qui n’ait été touché. »
Une mission portée par l’amour

Le livre est fortement empreint de l’esprit de l’Université McGill. Quinze des 47 hommes tombés au combat fréquentaient l’établissement. Certains étaient athlètes universitaires. D’autres appartenaient à des fraternités. Tous avaient une vie qui s’étendait bien au-delà des champs de bataille.
« Ces hommes ne sont pas seulement des noms sur un cénotaphe. Ils sont les fils de McGill, les fils de Montréal-Ouest et les fils du Canada », a-t-il déclaré.
Robert Drummond est lui-même un fier McGillois. Après avoir obtenu un diplôme en biochimie en 1987, il a poursuivi des études en médecine à l’Université McGill, où il a obtenu un doctorat en 1991 et effectué sa résidence, afin de rester près de chez lui. Aujourd’hui médecin urgentiste au Centre hospitalier de St. Mary et professeur adjoint à la Faculté de médecine et des sciences de la santé, Robert Drummond a travaillé sur ce projet pendant son temps libre, ses week-ends, ses soirées et ses jours de congé.
« C’est devenu une sorte de mission », explique-t-il. « Plus je creusais, plus je me rendais compte de l’immense perte que nous avons subie et de tout ce qui restait à découvrir. »
Il a commencé par consulter les dossiers militaires des archives nationales, se rendant souvent à Ottawa pour fouiller dans des dossiers poussiéreux que personne n’avait ouverts depuis 80 ans. Une rencontre fortuite avec un ami lui a permis de faire sa première véritable découverte : un carnet de vol datant de la guerre appartenant à un aviateur tombé au combat dont le nom figurait également sur le cénotaphe de Montréal-Ouest.
À partir de là, ses recherches se sont intensifiées.
« Je trouvais le numéro d’escadron dans le dossier d’une personne, puis je retraçais l’histoire de l’escadron, je lisais des livres, je repérais des mentions, je contactais des auteurs et, avant même de m’en rendre compte, j’étais au téléphone avec un pilote de 95 ans de l’Alberta qui s’était entraîné avec l’un de nos jeunes soldats, Robert Warren Conway, et qui séjournait même chez ce dernier pendant les vacances », raconte l’auteur.
Des liens vivants
Certains des moments les plus marquants ne provenaient pas des archives, mais de liens vivants.
« Il y a une femme dans mon église, Anne Williams, dont le nom de jeune fille était Johnston. Elle a mentionné que son oncle avait été tué pendant la guerre. Ce nom m’a semblé familier. Je suis retourné vérifier. Il faisait partie des 47. J’ai pu lui raconter exactement comment il était mort. En retour, elle m’a raconté des histoires transmises dans sa famille. Cet échange, cette confiance; ce fut un privilège d’être invité dans la vie des gens. »
Ce livre ne contient pas seulement des histoires de guerre ou militaires. Il comprend aussi des correspondances avec de jeunes femmes aux États-Unis, des demandes de biscuits faits maison et l’histoire d’un soldat qui a tenté d’expliquer à sa mère qu’il était stationné à Gibraltar en faisant référence à une publicité de Prudential Life.
« Ils n’étaient que des enfants. Ils écrivaient à leurs parents pour leur demander des pulls, en disant à leurs mères de ne pas s’inquiéter », précise Robert Drummond. « Certaines lettres étaient littéralement tachées de larmes. Comment peut-on lire de telles missives sans en être profondément touché? »
Fils de parents britanniques qui ont tous deux servi pendant la guerre, Robert Drummond porte un intérêt profondément personnel au conflit. Son père a servi comme mitrailleur dans un bombardier Lancaster, volant à 24 000 pieds dans une tourelle arrière non chauffée. Malgré le danger, il parlait rarement de son expérience, se contentant de répéter calmement et stoïquement : « Il faisait froid. »
« Écrire ce livre m’a donné un aperçu de ce que mon père a dû supporter », commente Robert Drummond.
« Je me sens incroyablement privilégié d’être Canadien, de vivre dans un pays sûr et exempt de conflits », soutient-il. « Cette paix n’est pas tombée du ciel. Elle est le fruit d’efforts d’hommes et de femmes qui ont servi et se sont sacrifiés. Si mon travail peut leur rendre hommage, même modestement, et toucher personnellement les lecteurs, j’aurai atteint mon but. »
Le livre One Town in a Very Long War, publié par Double Dagger, sera lancé le 5 novembre, à 19 h, à la Bibliothèque publique de Montréal-Ouest. Les places sont limitées; veuillez donc confirmer votre présence en composant le 514 481-7522 ou en écrivant à info@mwpl.ca. Le livre est également vendu sur Amazon. Toutes les redevances seront versées à la Légion royale canadienne.