« Selon moi, l’Université McGill ressortira plus forte de cette démarche »

Le provost souligne l’importance de réduire les dépenses dans l’immédiat pour surmonter les difficultés financières de l’Université
Alex Tran

Dans la présente foire aux questions, Christopher Manfredi, provost de l’Université McGill, parle des difficultés financières de l’Université et des mesures mises en place pour les surmonter. L’Université McGill prévoit un déficit de près de 15 millions de dollars pour l’exercice 2025, déficit qui augmenterait considérablement au cours des prochaines années si aucune mesure corrective n’était prise. Pour équilibrer le budget, l’Université devra faire d’importants ajustements.

S’il est vrai que des mesures de réduction des coûts sont nécessaires dans l’immédiat, le provost souligne néanmoins que le recrutement et le maintien en poste d’effectifs professoraux et administratifs exceptionnels, de même que la protection de l’aide financière aux étudiantes et étudiants, demeureront prioritaires pour l’Université. Grâce au programme Horizon McGill, l’Université pourra rationaliser ses activités et accroître l’efficacité de ses services administratifs afin de demeurer un établissement de premier ordre.

Quel est le déficit projeté dans le budget de fonctionnement de l’Université pour l’exercice en cours ainsi que pour les trois prochains exercices?

Le déficit projeté pour l’exercice 2025 (prenant fin le 30 avril) est d’un peu moins de 15 millions de dollars. En l’absence de redressement, le déficit annuel atteindra 44 millions de dollars en 2026, 61 millions de dollars en 2027 et près de 75 millions de dollars en 2028.

Afin d’équilibrer son budget, l’Université doit procéder à un redressement budgétaire de 45 millions de dollars pour l’exercice 2026, puis à des redressements de 30 millions de dollars au cours des deux exercices suivants.

Que risque-t-il d’arriver si l’Université accuse un déficit de fonctionnement d’année en année?

En cas de déficits répétés, le gouvernement du Québec exigerait de l’Université qu’elle élabore un plan de redressement, à savoir un plan concret pour rétablir l’équilibre budgétaire. Ce plan devrait d’abord être approuvé par le Conseil des gouverneurs, puis présenté au ministère de l’Enseignement supérieur, qui en assurerait le suivi.

Si elle était incapable d’équilibrer le budget, l’Université pourrait subir d’autres mesures, notamment la perte de la subvention conditionnelle, soit une portion de sa subvention annuelle qui représente près de 40 millions de dollars. Le non-respect du plan de redressement pourrait aussi donner lieu à d’autres restrictions et à une perte d’autonomie pour l’Université.

Quelle est la contribution des étudiantes et étudiants internationaux à nos revenus?

Les étudiantes et étudiants internationaux représentent une part importante des revenus tirés des droits de scolarité de l’Université. Cependant, leur présence diminue partout au pays en raison de facteurs géopolitiques et de restrictions gouvernementales.

La réforme des droits de scolarité annoncée en octobre 2023 a accentué cette tendance. Le gouvernement du Québec, qui a réglementé les droits de scolarité de cette catégorie d’étudiants, récupère environ 5 000 $ par étudiant étranger.

Dans quelle mesure nos difficultés actuelles sont-elles dues aux mesures du gouvernement du Québec?

L’Université est elle-même responsable de certains problèmes, notamment l’incapacité à atteindre les cibles d’inscription d’étudiants internationaux, et l’augmentation trop rapide des dépenses par rapport au rythme de croissance des revenus.

Toutefois, les mesures prises par le gouvernement au cours des 18 derniers mois ont empiré la situation. Parmi elles, mentionnons la hausse des droits de scolarité pour les étudiantes et étudiants canadiens de l’extérieur de la province, la récupération par le gouvernement d’une part des droits de scolarité des étudiants internationaux et la modification du modèle de financement.

En outre, le gouvernement du Québec impose des limites sur le nombre d’étudiantes et étudiants internationaux et réduit le taux d’indexation des droits de scolarité des étudiants locaux pour la prochaine année, ce qui alourdit encore davantage les contraintes financières.

L’Université McGill envisage-t-elle de se tourner vers d’autres sources de revenus?

Le redressement budgétaire de 45 millions de dollars peut être réalisé par divers moyens; cela dit, trouver de nouvelles sources de revenus substantiels prend du temps. Dans l’immédiat, on doit donc se concentrer sur la réduction des dépenses.

À long terme, l’Université pourra générer des revenus en proposant de nouveaux programmes ou en offrant les programmes existants sous différents formats, notamment en ligne, et en élargissant ses activités sur la scène mondiale. Toutefois, ces sources de revenus n’auront pas des effets notables du jour au lendemain.

Quel pourcentage du budget est alloué aux bourses et à l’aide financière aux étudiants?

Les bourses et l’aide financière aux étudiants représentent environ cinq pour cent du budget de fonctionnement, soit près de 60 millions de dollars annuellement. À cela s’ajoutent deux pour cent pour le salaire d’étudiantes et étudiants, ce qui donne un total de près de 80 millions de dollars en dépenses de fonctionnement.

Quelles répercussions le déficit aura-t-il sur les droits de scolarité et autres frais et coûts facturés aux étudiants?

Les droits de scolarité des étudiantes et étudiants canadiens sont réglementés par le gouvernement du Québec et indexés annuellement. Les droits de scolarité des étudiants internationaux (à l’exception des étudiants exemptés) sont partiellement déréglementés, et l’Université McGill a donc augmenté ces droits pour certains programmes.

Selon le modèle par cohorte de l’Université McGill, les droits de scolarité d’un étudiant international demeurent fixes tout au long de son programme. La récente réforme des droits de scolarité des étudiantes et étudiants des autres provinces canadiennes permet de dépasser le montant actuel de 12 000 dollars. Dans certains programmes, notamment en droit et en médecine dentaire, les droits de scolarité, inférieurs à ceux d’autres grandes universités canadiennes, pourraient subir des augmentations.

Les revenus provenant de toute hausse de droits de scolarité iront en partie à l’aide financière aux étudiants.

Est-il possible de réduire l’aide aux étudiants pour éponger une partie du déficit?

Nous ne souhaitons pas réduire l’aide financière aux étudiantes et étudiants, l’accessibilité faisant partie de l’ADN de l’Université McGill. Il est primordial que McGill conserve sa place parmi l’élite sans devenir élitiste.

Quelles seront les répercussions de ce déficit sur le recrutement et le maintien en poste du personnel enseignant?

L’Université McGill entend continuer de recruter, de fidéliser et de récompenser les meilleurs talents, tant au sein du corps enseignant que du personnel. Certes, nos activités de recrutement vont ralentir, et nous ne pourvoirons pas systématiquement chaque poste vacant, mais nous veillerons à ce que l’Université demeure un lieu de travail attrayant.

Nous avons déjà connu des difficultés financières par le passé. Pourquoi l’Université doit-elle supprimer des emplois?

La réalité est que 80 pour cent de nos dépenses sont liées aux salaires. Ainsi, toute mesure efficace de réduction des coûts doit passer par une réduction de la masse salariale et donc, une diminution du personnel. S’il est vrai que l’attrition (les départs, notamment à la retraite) va aider en ce sens, elle ne sera pas suffisante.

Comment l’Université va-t-elle gérer la réduction des effectifs?

On a donné à chaque faculté et unité une cible financière à atteindre. La décision quant à la manière d’y arriver et aux priorités à sauvegarder revient à chacune d’elles. Si des décisions proactives s’imposent, elles seront appliquées équitablement, conformément aux politiques, aux règlements et aux ententes. Nous voulons assurer un traitement juste et digne de toute personne touchée par ces décisions.

Les licenciements s’accompagneront-ils d’une restructuration ou d’une modification des services, des programmes ou de l’administration universitaires?

Il sera nécessaire de procéder à une restructuration. En effet, on ne peut réaliser les mêmes activités avec un personnel réduit.

Le projet Horizon McGill, dont les premières mesures sont les compressions budgétaires de l’exercice 2026, a pour but de reconfigurer les services de soutien administratifs afin qu’ils puissent être bien pris en charge par les effectifs en place.

Le projet est dirigé par le vice-recteur à l’administration et aux finances et par le provost, et il est supervisé par un comité directeur composé de membres de la direction administrative et académique. Des groupes de travail examineront divers postes administratifs et de soutien, notamment au sein du Service des approvisionnements, des Services financiers et du Service des ressources humaines.

Le programme UniForum est au cœur d’Horizon McGill : il permettra d’évaluer le taux de satisfaction à l’égard des services et le coût de ces derniers, et de comparer ces données à celles d’établissements similaires.

Nous allons également procéder à une évaluation des programmes d’études, à savoir leur pertinence, leur architecture et les cours qu’ils comportent. Nous envisagerons de mettre fin aux programmes générant peu d’inscriptions.

Nous devons absolument rationaliser les activités pour assurer à l’Université la marge de manœuvre financière dont elle a besoin pour investir dans sa mission première et consolider sa position.

Quels moyens prenez-vous afin de préserver la réputation de l’Université et les relations qu’elle entretient avec ses partenaires externes, y compris les donateurs, les partenaires de recherche et d’autres établissements d’enseignement supérieur?

Je ne crois pas que les mesures que nous prenons à l’heure actuelle mettent en péril ces relations.

De nombreuses universités canadiennes se trouvent face à des défis semblables et devront aussi s’ajuster. L’Université McGill entretient des liens étroits avec ses donatrices et donateurs ainsi qu’avec ses partenaires de recherche. À l’issue de cette démarche, nous serons encore plus performants et plus précieux comme partenaire.

Quel avenir voyez-vous pour l’Université McGill au cours des trois ou quatre prochaines années?

Selon moi, l’Université McGill ressortira plus forte de cette démarche; elle sera mieux en mesure de mener à bien sa mission d’excellence en enseignement et en recherche. Je crois que l’Université McGill rayonnera de plus belle et consolidera sa position de chef de file mondial.