« Accès gratuit : le secret pour monnayer la science?* »
Voilà le titre provocateur d’un article publié dans le quotidien The Guardian à la suite d’une annonce faite vendredi dernier : la famille Larry et Judy Tanenbaum, de Toronto, a versé un don de 20 millions de dollars pour la création de l’Institut de science ouverte Tanenbaum à l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal de l’Université McGill (le Neuro).
Plus tôt cette année, le Neuro avait annoncé qu’il ne ferait désormais plus breveter ses découvertes et déploierait tous les efforts nécessaires pour donner libre accès à ses résultats de recherche de même qu’à l’ensemble des données découlant de ses travaux. Le but de cette initiative : stimuler la mise au point de traitements efficaces contre les maladies cérébrales. Le Neuro est le premier institut de recherche d’envergure à s’engager aussi résolument dans la voie de la science ouverte.
Comme l’explique Richard Gold, professeur de droit à McGill, dans un article publié récemment dans la revue PLOS Biology, le Neuro espère que cette ouverture « aura pour effet d’attirer les entreprises dans la région montréalaise, où se trouve le Neuro, et d’en faire un carrefour du savoir ». D’ailleurs, ajoute ce spécialiste de la propriété intellectuelle et conseiller du Neuro en matière de science ouverte, l’effet d’attraction opère déjà : Thermo Fisher Scientific, multinationale qui s’intéresse aux maladies neurodégénératives, nouera un partenariat avec le Neuro.
L’industrie pharmaceutique a accueilli favorablement cette initiative de science ouverte, a précisé le directeur du Neuro, le Dr Guy Rouleau, lors de la conférence de presse tenue vendredi dernier. Le Neuro fait de la recherche fondamentale, c’est-à-dire celle qui « pose les fondements du savoir » sur lesquels s’appuieront d’autres acteurs pour développer des médicaments. « La mise au point de traitements à partir des connaissances issues de la recherche, c’est l’affaire de l’industrie pharmaceutique. C’est pour ça qu’elle obtient des brevets… C’est comme ça que ça fonctionne. »
Larry Tanenbaum, qui préside depuis longtemps aux destinées du groupe Kilmer, est probablement davantage connu comme président de Maple Leaf Sports & Entertainment, propriétaire de diverses équipes sportives torontoises, dont les Maple Leafs de la LNH, le club de soccer Toronto FC de la Major League Soccer (MLS) et les Raptors de la NBA.
« Au Canada, une personne sur trois souffre d’une forme de maladie cérébrale », fait observer M. Tanenbaum. « Des millions de Canadiens sont touchés par ces maladies, moi le premier. Ma mère est décédée de la maladie d’Alzheimer et mon père, d’un accident vasculaire cérébral. De plus, le cancer du cerveau a emporté trois de mes grands amis et la dépression, un autre de mes amis, un scientifique brillant. »
L’un des projets phares du nouvel institut sera la tenue du Dépôt CBRG (Dépôt de données cliniques, biologiques, radiologiques et génétiques), qui réunira des données cliniques, biologiques et génétiques ainsi que des clichés d’imagerie provenant de patients atteints d’une maladie neurologique. Ce dépôt sera accessible à tous les chercheurs du Canada et de l’étranger. Déjà, le Dépôt a conclu un partenariat avec le Réseau Parkinson Québec. « Ce projet pilote illustre parfaitement nos ambitions », souligne le Dr Jason Karamchandani, professeur adjoint de pathologie et neuropathologiste au Neuro. « Plus de 100 patients [atteints de la maladie de Parkinson] ont déjà accepté, dans un geste purement altruiste, de mettre leurs données à la disposition du Dépôt CBRG. »
« Je pense qu’on nous a à l’œil », déclare le Dr Rouleau. « On nous observe et on se demande comment tout cela va fonctionner et comment nous allons nous y prendre. Maintenant, à nous de tenir le pari. Et ce pari, le don de M. Tanenbaum et de sa famille nous aidera à le gagner. »