La plus récente boursière Trudeau de l’Université McGill conjugue éthique et ingénierie

Leah Davis s’intéresse à l’effet de l’intelligence artificielle sur l’environnement social, et vice versa
Student posing outdoors next to pillars.
Leah Davis

Alliant expertise technique et enquête éthique, les recherches de Leah Davis sur l’interaction entre les systèmes d’intelligence artificielle et leur environnement social se situent au carrefour du génie et des sciences sociales. Cette approche interdisciplinaire est au cœur des travaux de la doctorante en génie électrique et informatique de l’Université McGill, et lui a valu la bourse de la Fondation Pierre Elliott Trudeau 2025, généralement réservée aux chercheurs en sciences humaines. Leah Davis, qui a entrepris son doctorat en janvier 2025, voit son travail comme un pont entre deux mondes.

« J’aime dire à la blague que nous sommes des ingénieurs de métier, mais des spécialistes des sciences humaines dans l’âme, lance la boursière. Nous utilisons des outils techniques, mais nous étudions le fonctionnement des systèmes dans de véritables populations. Sont-ils inclusifs? Leur fait-on confiance? Qui est exclu du processus? »

Leah Davis travaille dans le laboratoire RAISE (Responsible Autonomy and Intelligent Systems Ethics), où elle s’implique depuis son baccalauréat. Sous la direction d’AJung Moon, professeure adjointe de génie informatique et électrique, ses recherches portent sur l’effet de l’intelligence artificielle sur l’environnement social, et vice versa. Son approche, qu’elle qualifie de « sociotechnique », repose sur l’importance de l’interconnexion profonde entre la technologie et la société.

 

De meilleures données, une conception plus inclusive

On a toujours évalué l’IA en fonction de ses performances techniques. Le système est-il précis, fiable et efficace?

« Mais nous devons également évaluer la performance sociale de ces systèmes, soutient Leah Davis. Au lieu de nous demander simplement s’ils sont rapides et précis, nous devons maintenant nous demander s’ils sont équitables. »

Cela dit, des concepts tels que l’équité et la confiance sont difficiles à transformer en paramètres opérationnels mesurables.

« C’est là qu’interviennent les méthodes qualitatives des sciences sociales. Nous examinons la positionnalité des développeurs de ces systèmes (pourquoi ils font certains choix) et nous utilisons souvent des approches ethnographiques pour comprendre l’expérience utilisateur de différents groupes. Utilisons-nous les bonnes données pour les bonnes personnes? Certaines personnes sont-elles mal représentées ou exclues? Si c’est le cas, comment pouvons-nous atténuer ces risques? »

Qu’il s’agisse d’études ethnographiques ou de collaborations avec des ONG et des groupes de défense d’intérêts, le travail de Leah Davis comporte de plus en plus d’interactions avec des groupes touchés par l’IA. L’objectif est de créer des cadres qui aident les développeurs à réfléchir à leurs propres partis pris et à améliorer la conception et le déploiement des systèmes.

« Bien avant l’IA, nous avions des systèmes façonnés par le racisme, le sexisme et d’autres attitudes fondées sur des préjugés. L’IA ne fait que les amplifier, souligne la doctorante. Nous avons besoin de meilleures données, d’une conception plus inclusive et d’outils qui aideront les spécialistes à faire de meilleurs choix. »

 

Un leadership qui profite à tous

« Expérience du grand public », «  transparence » et «  responsabilité » ont été les mots d’ordre de Leah Davis dans son exploration de l’IA. Ingénieure biomédicale de formation, elle a découvert l’IA par le biais d’applications techniques comme le traitement d’images. Curieuse de nature, elle a suivi des cours facultatifs sur la culture et la société numériques, puis obtenu une maîtrise en sciences des données sociales à l’Université d’Oxford.

« Je me suis toujours demandé pourquoi les choses avaient de l’importance. Je ne voulais pas me contenter de construire des systèmes : je voulais comprendre leurs répercussions.

Ajung Moon qualifie de rare et nécessaire l’approche interdisciplinaire de sa protégée.

« Le parcours de Leah est celui d’une personne qui sait comment s’occuper de sa collectivité tout en s’adressant à des experts de l’extérieur de ce cercle pour susciter le changement, dit la Pre Moon. C’est un leadership qui profite à tous et toutes, et pas seulement à la personne sous les feux de la rampe. »

Leah Davis met maintenant ce leadership au service de divers établissements et disciplines. En effet, elle collabore avec des collègues de Mila – Institut québécois d’intelligence artificielle et de l’UQAM, soit des spécialistes de la cybersécurité, de l’anthropologie et de la philosophie. Son travail consiste également à s’adresser aux décideurs politiques pour s’assurer que les règlements en matière d’IA sont en adéquation avec les besoins réels.

« Une grande partie du travail consiste à servir de pont, explique la boursière, à agir comme une courroie de transmission entre les ingénieurs, les chercheurs en sciences humaines et le grand public. C’est difficile, car nous ne parlons pas tous la même langue, mais c’est essentiel. »

 

La recherche décloisonnée

Selon Leah Davis, la bourse de la Fondation Pierre Elliot Trudeau est plus qu’un simple soutien financier. C’est une plateforme de sensibilisation de la population, de mentorat interdisciplinaire et de développement du leadership. Les boursiers et boursières bénéficient de mentorat au sein de l’université de même qu’en entreprise, ce qui les aide à combler le fossé entre la théorie et la pratique.

« Cette bourse nous aide à sortir du cloisonnement, fait-elle valoir. Un doctorat ne se résume pas à la rédaction d’une thèse : il s’agit d’une chance unique de réfléchir en profondeur à un problème et de produire quelque chose qui peut véritablement éclairer les décideurs. C’est une grande responsabilité. S’il y a une possibilité que les gens écoutent ou même utilisent notre travail, celui-ci doit être réfléchi, inclusif et représentatif. »

Bien qu’issue du monde du génie, Leah Davis s’est sentie accueillie parmi les scientifiques traditionnellement axés sur les sciences humaines. Voilà précisément la diversité qu’elle recherchait.

« Il n’est pas nécessaire d’entrer dans une case. Nous avons besoin d’ingénieurs dans les sciences humaines et de spécialistes des sciences humaines dans les technologies. Les vraies solutions naissent de ces interactions. »