Hommage aux femmes assassinées à Polytechnique : « il faut faire plus »

La survivante Dominique Bérubé, aujourd’hui vice-principale à la recherche et à l’innovation, revient pour la première fois publiquement sur cette journée tragique
Première légende : Rangée du haut : Hélène Colgan, Anne-Marie Lemay, Barbara Daigneault, Nathalie Croteau et Maryse Laganière. Rangée du milieu : Sonia Pelletier, Barbara Klucznik-Widajewicz, Maryse Leclair et Annie St-Arneault. Rangée du bas : Anne-Marie Edward, Maud Haviernick, Annie Turcotte, Geneviève Bergeron et Michèle Richard

Comme la majorité des Montréalaises et des Montréalais, Dominique Bérubé se souvient où elle se trouvait le 6 décembre 1989 lorsqu’un homme armé a assassiné 14 femmes à l’École Polytechnique – mais les souvenirs de cette journée sont, pour elle, particulièrement vivaces.

Le 6 décembre 1989, Dominique Bérubé était à Polytechnique.

La vice-principale à la recherche et à l’innovation de l’Université McGill a parlé pour la première fois publiquement de cette journée à l’occasion de l’événement commémoratif qui s’est tenu sur la rue McTavish.

Alors étudiante au baccalauréat en génie métallurgique, Dominique Bérubé connaissait la plupart des victimes. Ces femmes étaient ses collègues, ses camarades de classe. Ses amies.

« Comme moi, Maryse [Leclair] était en troisième année. Cette journée-là, elle portait une chemise en soie. C’était supposément pour Noël, mais en fait, elle la portait pour une présentation qu’elle devait donner dans son cours de métallurgie », se rappelle-t-elle.

« Maud Haviernick, c’était la copine avec qui je prenais des pauses cigarette. À l’époque, on pouvait fumer dans les couloirs de l’École, sourit-elle. Maud avait 29 ans. »

Le souvenir le plus triste de Dominique est celui de la soirée passée avec les parents de Michèle Richard après les funérailles de neuf des victimes à la basilique Notre-Dame.

« Ils ne voulaient pas être présents aux funérailles parce qu’ils étaient incapables de dire au revoir à leur fille, alors un groupe s’est réuni chez eux par solidarité. »

 

Responsabilité partagée 

Selon Dominique Bérubé, il faut « faire plus » que de rendre hommage aux victimes.

« Nous devons faire en sorte de ne jamais oublier les leçons qui s’imposent », affirme-t-elle.

« La violence et l’injustice dont nous avons été témoins cette journée-là demeurent. Nous vivons dans un monde où existent toujours des barrières, où l’on subit des inégalités, et où le progrès demande des efforts constants. »

« En l’honneur des 14 femmes dont nous rappelons la mémoire aujourd’hui, je vous demande d’être solidaires et de vous soutenir les unes les autres, et de vous faire entendre chaque fois que ça compte. C’est essentiel. »

« Aujourd’hui, nous honorons les victimes, mais cet hommage n’est pas seulement un devoir de mémoire : c’est aussi la responsabilité de protéger ce dont on les a privées. C’est une responsabilité que nous devons assumer, ensemble. »

 

Culpabilité et ambivalence 

Après la tragédie, la vie s’est avérée « très compliquée ».

Dominique a fondé une famille et entrepris une carrière, mais sans pouvoir s’empêcher de cultiver un sentiment de culpabilité : « culpabilité d’être en vie; culpabilité d’avoir de la chance; culpabilité de ne pas suffisamment penser à mes amies et à la tragédie; culpabilité de ne pas participer suffisamment à en entretenir la mémoire. Ces sentiments douloureux rappellent cependant l’importance de la réflexion et de l’action. »

La survivante s’est également ouverte sur les pressions vécues. Les groupes féministes voulaient que l’on déclare le domaine de l’ingénierie misogyne, tandis que des collègues masculins voulaient que l’on rassure la population en soutenant le contraire.

En outre, elle était ambivalente à l’idée de s’identifier comme féministe. « Cette étiquette suscitait beaucoup d’attentes. C’était trop lourd à porter », explique-t-elle.

Avec le temps, ça a changé.

« Grâce aux amitiés que j’ai nouées, à l’aide que j’ai reçue et au travail accompli par tellement de femmes qui n’ont jamais cessé de se battre pour faire respecter nos droits, même lorsque la lutte était ardue et la cause impopulaire, je peux me tenir ici aujourd’hui devant vous, fière et forte, et me déclarer féministe ».

 

Hommages rendus 

Christopher Manfredi, provost; Angela Campbell, vice-provost par intérim et vice-provost, Équité et politiques académiques; et Viviane Yargeau, première femme doyenne de la Faculté de génie de l’Université McGill, ont pris la parole.

De plus, 14 étudiantes au premier cycle en génie, membres du POWE (Promoting Opportunities for Women in Engineering), un organisme à but non lucratif fondé en 1990 dans la foulée de la tuerie de Polytechnique et qui fait la promotion de la profession d’ingénieure auprès des femmes, ont rendu hommage aux victimes.

Une à une, les 14 étudiantes ont déposé une rose blanche sur la plaque commémorative, rue McTavish, et ont parlé avec émotion de chacune des victimes :

  • Geneviève Bergeron
  • Hélène Colgan
  • Nathalie Croteau
  • Barbara Daigneault
  • Anne-Marie Edward
  • Maud Haviernick
  • Barbara Klucznik-Widajewicz
  • Maryse Laganière
  • Maryse Leclair
  • Anne-Marie Lemay
  • Sonia Pelletier
  • Michèle Richard
  • Annie St-Arneault
  • Annie Turcotte

Une minute de silence a ensuite été observée.

Dominique Bérubé speaks at Ecole Polytechnique memorial event
Debout à côté de la plaque commémorative, rue McTavish, Dominique Bérubé, vice-rectrice à la recherche et à l’innovation, rend hommage aux femmes – amies et camarades de classe – qui ont été tuées à l’École polytechnique le 6 décembre 1989.Neale McDevitt