Cinquante ans à former des enseignants des Premières Nations et inuits dans leur langue et leur communauté

Le Bureau de la formation en enseignement pour les Premières Nations et les Inuits et les communautés autochtones unissent leurs forces pour concevoir et offrir des programmes sur mesure
McGill’s Office of First Nations and Inuit Education celebrated it’s 50th anniversary at the Faculty ClubOwen Egan/Joni Dufour

 

Depuis Eeyou Istchee, territoire cri du Nord-du-Québec, Derek Hayes poursuit son baccalauréat en sciences de l’éducation, sous la supervision du Bureau de la formation en enseignement pour les Premières Nations et les Inuits de l’Université McGill. Pour ce membre de la Première nation micmaque de Gesgapegiag, ce programme dépasse largement l’obtention d’un diplôme : c’est un véritable parcours de redécouverte identitaire. Bien que distinctes, les langues micmaque et crie appartiennent toutes deux à la famille des langues algonquiennes. Au fil de ses études – notamment grâce à deux cours de langue crie –, Derek a découvert ce lien linguistique, ce qui l’a amené à renouer avec sa langue maternelle, le micmac.

« Comme beaucoup de gens de ma génération dans ma communauté, j’ai oublié comment parler ma langue. Et quand ça se produit, on ne sait plus vraiment où est notre place, explique-t-il. L’apprentissage du cri et la redécouverte de ma langue maternelle m’ont permis de me reconnecter à mon identité profonde. C’est un cadeau précieux. »

En suivant des cours à Mistissini, Waskaganish, Wemindji et Chisasibi, Derek s’est aussi initié à l’apprentissage traditionnel, façonné par le savoir cri et transmis autant dans les communautés côtières que celles de l’intérieur et du Nord. Ces expériences ont renforcé son intérêt pour la transmission de la langue et de la culture en classe.

 

En avance sur son temps

Derek Hayes

Derek est inscrit à l’un des programmes proposés par le Bureau de la formation en enseignement pour les Premières Nations et les Inuits (Bureau), en partenariat avec huit administrations scolaires des Premières Nations et des Inuits au Québec et au Labrador. À la dernière session, quelque 370 étudiants étaient inscrits à un programme offert par le Bureau.

Créé au début de l’année 1975, lorsque Jack Cram, professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université McGill, a été invité par le gouvernement du Québec à participer à la conception d’un programme d’éducation destiné aux enseignants œuvrant auprès des Premières Nations et des communautés inuites, le Bureau de la formation en enseignement pour les Premières Nations et les Inuits célèbre cette semaine son 50anniversaire. Grâce au travail du Pr Cram, des programmes d’éducation communautaire ont peu à peu vu le jour à Kuujjuaq à l’automne 1975. En 1978, huit diplômés enseignaient en inuktitut dans des écoles du Québec, et l’Université McGill avait entrepris, avec la commission scolaire Kativik Ilisarniliriniq, l’élaboration de programmes de formation des enseignants – une initiative qui connaît depuis un vaste essor.

« Lors de sa création, il y a 50 ans, le Bureau s’est imposé comme un mouvement collaboratif novateur, réunissant des autorités scolaires des Premières Nations et des Inuits avec une université de renom dans une démarche d’échange et d’apprentissage mutuel », souligne Vivek Venkatesh, doyen de la Faculté des sciences de l’éducation. « En cofondant des pôles d’éducation communautaires aux quatre coins de la province et en intégrant des approches pédagogiques axées sur la culture, ces éducateurs visionnaires ont transformé le paysage de l’enseignement. »

 

Collaboration et cocréation

Geraldine KingOwen Egan/Joni Dufour

Cette approche collaborative de l’éducation demeure au cœur des activités du Bureau : tous les programmes sont conçus et offerts en partenariat étroit avec les autorités scolaires des Premières Nations et des Inuits. Cette collaboration englobe la définition de la structure et du contenu des programmes, le choix des approches pédagogiques, et parfois même le processus d’embauche du personnel enseignant. Chaque communauté avec laquelle le Bureau travaille présente des réalités uniques – qu’il s’agisse de priorités éducatives, de défis d’accès à Internet ou de pénurie de logements.

« Nous mettons tout en œuvre pour que les enseignants qui accompagnent les élèves dans chaque communauté soient issus de cette communauté, qu’ils en partagent la langue, la vision du monde, les normes culturelles et les pratiques pédagogiques », explique Geraldine King, codirectrice par intérim du Bureau, en collaboration avec Michelle Kennedy.

« L’objectif ultime du Bureau est de mettre en place des programmes éducatifs communautaires qui répondent aux besoins des élèves dans leur langue d’origine, de la maternelle au secondaire, et de contribuer ainsi activement à la revitalisation linguistique partout au Québec », ajoute-t-elle.

 

Cinquante ans plus tard

Même s’il reste encore beaucoup à faire, le chemin parcouru est impressionnant.

« En 2025, le Bureau de la formation en enseignement pour les Premières Nations et les Inuits compte huit partenaires qui continuent de coélaborer des programmes et de soutenir l’éducation locale aux quatre coins du Québec et du Labrador, notamment par des programmes novateurs en titularisation et en perfectionnement professionnel du personnel enseignant », indique le doyen Vivek Venkatesh.

« Parmi les diplômés du Bureau, on compte des enseignantes du primaire et du secondaire, des conceptrices de programmes, des administratrices de conseils scolaires, ainsi que des directeurs chevronnés d’administrations scolaires inuites et des Premières Nations », ajoute-t-il.

 

Au service de la réappropriation des langues autochtones

Michelle KennedyOwen Egan/Joni Dufour

Susie George est diplômée du Bureau de la formation en enseignement pour les Premières Nations et les Inuits. Membre de la Nation crie de Whapmagoostui, elle œuvre depuis plus de vingt ans au sein de la Commission scolaire crie, où elle a occupé divers rôles : enseignante, assistante d’enseignement, suppléante, personne-ressource et éducatrice spécialisée. Aujourd’hui consultante en éducation au Département de perfectionnement professionnel, elle supervise le programme de formation des enseignants cris, tout en contribuant à la création de cours et au soutien pédagogique.

Chargées de faire connaître les programmes aux futurs enseignants et enseignantes et de participer à la sélection des cours, Susie George et son équipe accompagnent également 27 étudiants et étudiantes issus de différentes communautés, chacun à une étape différente de son parcours vers un diplôme en éducation.

« Nous faisons tout notre possible pour soutenir chaque étudiant, explique-t-elle. On plaisante souvent en disant qu’il faut porter plusieurs chapeaux… parfois thérapeute, parfois grand-mère – ou gookum. J’adore mon travail et mon équipe. »

Animée par le désir d’améliorer les expériences d’apprentissage des jeunes enfants cris, Susie George est en voie de s’inscrire à la maîtrise en éducation. Elle souhaite y développer une méthode phonétique en langue crie afin d’en faciliter l’apprentissage pour les générations à venir.

Geraldine King souligne elle aussi l’importance centrale de la langue dans le travail du Bureau de la formation en enseignement pour les Premières Nations et les Inuits  :

« Le processus de réappropriation et de revitalisation linguistique progresse rapidement dans ces communautés. Notre rôle est d’accompagner ce mouvement, d’y répondre avec créativité, tout en veillant à préserver la souveraineté culturelle et l’intégrité des nations avec lesquelles nous collaborons. »